Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ceux qui ne voient que répression et déviances sexuelles dans l’Eglise passent à côté de leur sujet

IMPRIMER

Un entretien avec Bertrand Vergely paru sur Atlantico.fr :

Qui sont vraiment les obsédés ? Pourquoi ceux qui ne voient que répression et déviances sexuelles dans l’Eglise passent à côté de leur sujet.

Atlantico : Dans une récente édition d'un"Que sais-je?" (PUF) consacrée à l'Homophobie, les auteurs se posent à un moment la question de savoir  si l'Eglise aurait passé "sous silence les relations intenses - signe d'une homophilie latente - des figures bibliques, telles que Jésus et Jean, son disciple bien-aimé". Ce genre de déclarations - au-delà de l'aspect très insultant et bêtement provocateur qu'elles ont tendance à prendre - ne montrent-elles pas qu'il existe une réelle obsession des adversaires de l'Eglise et de la chrétienté pour la question de la sexualité chez les chrétiens ? Comment l'expliquer ? 

Bertrand Vergely : La question de la sexualité et du christianisme est une question qui ne cesse de revenir sur la scène. Afin d’y voir clair, sérions les problèmes.

S’agissant des relations entre le christianisme  et la sexualité, il importe de dire deux choses. En premier lieu, c’est vrai, en diabolisant la sexualité, le christianisme a raté celle-ci. Pire, il a fait peser sur elle une culpabilité qui a opprimé des générations d’hommes et de femmes.  La sexualité a été un péché qualifié le péché de chair.

Toutefois, on l’oublie trop. Quand le christianisme envisage la relation entre l’homme et Dieu, à l’image du judaïsme, il l’envisage comme une noce et non comme une relation asexuée et dés-érotisée.  Témoin Le cantique des cantiques. Avant de parvenir à cette noce, l’homme est éveillé à la présence divine par un désir ardent, l’éros qu’il sent vivre en lui. Attiré par la plénitude, dans l’intime de lui-même, comme un amoureux l’est de l’être aimé, c’est ce désir ardent, cet éros, qui va le conduire aux plus hautes cimes de la contemplation. C’est dans ce contexte qu’il importe de lire aussi la relation du christianisme à la sexualité.

Cette dernière est une énergie colossale, sa puissance étant capable, non seulement de procurer un plaisir paradisiaque, mais la vie et sa reproduction.  Quand cette énergie est rassemblée dans l’union d’un couple, elle donne l’extraordinaire relation de l’amour et, à travers elle, la relation inouïe du masculin et du féminin.  Quand cette énergie n’est pas rassemblée, explosive, elle fait des ravages en provoquant les plus grandes souffrances qui soient.

On ne peut pas faire n’importe quoi avec la sexualité. Quand on rn fait, un simple produit de consommation totalement dépersonnalisé, non seulement on la gâche mais on se gâche. En 2017, 240 000 femmes ont été victimes ont été victimes  soit de tentatives de viol soit de viols, 155 000 enfants ont été violé, 4 millions de Français disent avoir été victimes d’inceste. Le christianisme a raté la sexualité. Mais la libération sexuelle ne l’a-t-elle pas également ratée ? Et ne l’a-t-elle pas raté dans des proportions bien plus fortes ? On  critique le christianisme qui n’a pas su penser la sexualité. Et on a raison. Mais, nous, savons nous la penser ? Savons nous initier les jeunes à l’amour ? N’y a-t-il pas, en cette matière, un vide accablant ?

Atlantico : Les adversaires de l’Église catholique expliquent que celle-ci masque la sexualité. Elle aurait notamment masqué la relation homosexuelle entre le Christ et saint Jean. Ce camouflage vient-il de sa peur obsessionnelle du sexe ?

Bertrand Vergely : L’Église catholique a masqué les affaires de mœurs qui se déroulaient en son sein. Les récentes affaires concernant le silence de hauts dignitaires de l’Église au sujet de scandales dont ils avaient connaissance en sont la preuve. L’Église a-t-elle caché la relation homosexuelle entre le Christ et Jean, son disciple et apôtre ?

Jean est dit être « le disciple que le Christ aimait » (Jean, chap. 13, v. 23-26). Lors de la cène, sa tête repose sur le sein du Christ. Admettons. Le Christ et saint Jean auraient eu une relation homosexuelle. Problème toutefois. Et Marie-Madeleine ? Elle aurait été la maîtresse du Christ. Que faut-il en conclure ? Que le Christ était homo, hétéro, bi ? Quel débat passionnant !

Il y a quelques années de cela, du temps de la psychanalyse sauvage, des tentatives ont eu lieu pour tout expliquer par la sexualité. Ces tentatives ont très vite cessé. On s’est rendu compte qu’en expliquant tout par la sexualité on n’expliquait rien et, qui plus est, on tournait en rond en répétant toujours la même chose. Mozart ne s’explique pas par sa sexualité.  À son époque, quantité de gens ont eu la même sexualité que lui. Ils ne sont pas devenus Mozart pour autant.

Soyons sérieux. Quand il est dit que le Christ aimait Jean et que lors de la cène Jean reposait sur son sein, il ne faut pas prendre ces propos au pied de la lettre. Jean est proche du Christ pourquoi ? Parce qu’il a compris qui était le Christ sur un plan fondamental en le définissant comme Verbe fait chair (Jean, chap. 1, v. 14).  On se situe là à un haut niveau de connaissance. Le texte le rappelle. Il faut lire Jean avec une attention particulière, ce qu’il dit étant la clef pour ouvrir tous les évangiles et, derrière eux, le sens profond du Christ.

La façon de critiquer l’Église catholique en recourant à la sexualité est-elle obsessionnelle ? Elle est surtout facile. Quand on n’est pas très intelligent et que l’on veut attaquer l’Église catholique, que fait-on ? On se place sur le plan de la sexualité en expliquant que l’Église qui n’est pas nette sur ce sujet est hypocrite en ne le reconnaissant pas. On explique qu’alors qu’elle fait de la morale aux autres, elle ferait mieux de balayer devant sa porte. Quand on est un homosexuel militant on va plus loin. Les prêtres catholiques étant homosexuels, que l’Église reconnaisse l’homosexualité au lieu de la condamner.

Il est fait reproche aux prêtres d’être trop humains et pas assez spirituels. Si on veut faire avancer les choses, soyons spirituels et aidons les prêtres à le devenir au lieu de simplement les couvrir d’opprobre. Sinon, taisons nous et arrêtons d’ajouter de la tristesse à la tristesse et de la médiocrité à la médiocrité.

Atlantico : Les charges sont nombreuses ces derniers temps - on peut penser à l'essai Sodoma qui affirme que la grande majorité des prêtres catholiques sont homosexuels. Si le christianisme, notamment l'Eglise du fait du célibat, connait des troubles liés à l'homosexualité pratiquante de certains prélats, ou la pédophilie, ses adversaires ne luttent-ils pas en vain quand ils s'attaquent à la morale chrétienne sur la sexualité ? Le discours religieux, qui par définition est un discours de vérité, ne rend-il pas de toute façon ces attaques caduques?

Bertrand Vergely : La majeure partie des prêtres catholiques  seraient homosexuels et ce à cause du célibat des prêtres ?  On a du mal à le croire.

Qu’il y ait des prêtres homosexuels ou pédophiles, soit. Que tous ou presque le soient ? Non. D’abord cela se saurait et il n’y aurait pas quelques dizaines de cas d’homosexualité et de pédophilie mais des centaines de milliers de cas de par le monde. En  outre, soyons sérieux. Quand on est prêtre, on l’est à la suite d’un engagement spirituel extrêmement profond. Si la prêtrise ne reposait que sur un mensonge, il y a longtemps que celle-ci aurait dû disparaître. Or, il y a de vrais prêtres. Comment se fait-il qu’il y en ait ? Normalement, ils ne devraient pas exister.   

Quant au célibat des prêtres qui serait la cause des problèmes sexuels que rencontrent ceux-ci. Le mariage et  famille ne résolvent pas les problèmes sexuels. Témoin le nombre affolant d’incestes. Par ailleurs, arrêtons de croire que le mariage résout les problèmes sexuels. Quand on a des problèmes sexuels, on ne se marie pas. Et quand on se marie, c’est parce qu’on n’a pas de problèmes sexuels.

Il est quelque peu pervers de conseiller à l’Église d’autoriser le mariage des prêtres pour régler les problèmes sexuels des prêtres. C’est là se moquer d’elle en lui demandant de se suicider. Quand l’Église marie un couple, sur quelle base le fait-elle ? Sur un engagement profond de toute une vie pour la vie  et, derrière cet engagement, sur une vision mystique du couple. Que demain l’Église se mette à marier les prêtres uniquement pour qu’ils n’aient plus de problèmes sexuels. L’engagement de toute une vie pour la vie, la vision mystique du couple, tout ce sur quoi l’Église a fondé le mariage, s’écroule. L’Église cesse d’être l’Église pour devenir un centre de sexothérapie.

Les attaques adressées à l’Église sont-elles vaines ? Se trompent-elles de cible ?  Quand on est catholique, il est normal d’attendre de la part de ses prêtres que ceux-ci soient dignes de la responsabilité qui leur a été confiée et de la confiance qui leur est faite. Quand on ne l’est pas, pourquoi demander à l’Église d’être pure alors que l’on ne veut pas d’Église ?

On critique l’Église parce que certains de ses prélats ne sont pas dignes. Imaginons qu’au CNRS il y ait des affaires de mœurs. On ne va pas fermer le CNRS pour autant. L’Église est une chose. Le comportement de certains de ses prêtres en est une autre. En son temps, c’est ce que saint Augustin a rappelé à l’occasion d’une crise à laquelle il a été confronté.  La moralité ne suffit pas à faire une Église. Il faut qu’il y ait le sens du mystère dont elle est porteuse. Limitons l’Église à n’être pus qu’une assemblée morale. Celle-ci disparaît. Elle devient une société. Elle n’est plus l’Église.

Les adversaires de l’Église voudraient bien qu’elle disparaisse. Aussi lui font-ils un procès moral en la traitant comme une société et non comme une église afin qu’elle devienne une société parmi d’autres au sein de la société.

Quand l’Église fait des fautes il n’y a qu’une seule façon de la critiquer : devenir meilleur quelle en l’aidant à devenir meilleure. On lui reproche de ne pas être sainte ? Devenons saint afin de lui montrer la voie. Faisons lui le reproche de ne pas être sainte sans l’être soi-même ? On est un hypocrite. Proposons lui, pour régler son manque de sainteté, d’adopter une hygiène sexuelle ainsi que des règles morales. On est un pervers détruisant celle-ci sous prétexte de lui venir en aide.

Atlantico : Ce discours n'est-il pas d'autant plus inefficace qu'au-delà des critiques - parfois justifiées - il n'arrive pas à comprendre la complexité du sens qu'apporte le christianisme à l'amour ?

Bertrand Vergely : Les critiques adressées à l’Église sont inefficaces. C’est vrai. Elles tournent en rond en ne faisant que nourrir des attitudes outrées, scandalisées, révoltées, À propos de tout, répéter sans cesse : « Tu as vu ? C’est scandaleux. Je suis outré » n’a jamais fait avancer et  ne fait rien avancer. Quand il y a un accident sur une route, ce ne sont pas ceux qui s’arrêtent pour regarder les blessés qui sont efficaces, mais ceux qui appellent les secours et ceux qui portent secours. Quand l’humanité agit mal, c’est devenant meilleur que l’on corrige le mal, et non  en disant du mal à propos du mal, sans devenir meilleur.

Le christianisme apporte une complexité à l’amour et il faudrait aider à découvrir cette complexité au lieu de le critiquer. Le christianisme ne complexifie pas l’amour. Il le simplifie au contraire.

Qu’est-ce que l’amour ? Un désir qui devient extraordinaire et qui, devenant extraordinaire se transforme en un élan qui embrasse tout.  Comment le de »vient-il ? En vivant de tout son être. Qu’apporte le christianisme à l’amour ? Lee fait d’enseigner que l’amour va bien plus loin qu’on ne le pense. D’où l’encouragement chrétien et christique à vivre et à aimer sans cesser de vivre et d’aimer.

On ne vit pas assez. On n’aime pas assez. Là est le drame de notre humanité. Quand on aime et que l’on vit, on libère l’éros fondamental qui conduit à la plénitude. Cet éros  est aujourd’hui emprisonné dans ce que l’on appelle la sexualité. D’où la frustration de notre monde, obnubilé par la sexualité, sans parvenir à vraiment accomplir les possibilités paradisiaques qui sont contenues en elle. Notre époque croit que c’est en se délivrant de ses racines chrétiennes qu’elle parviendra à découvrir la sexualité paradisiaque qu’elle recherche. Elle fait le contraire de ce qu’il faudrait qu’elle fasse. Tant qu’elle ne parviendra pas à libérer le divino-humain qui se trouve en l’homme et qui s’appelle Christ, elle ne pourra pas accéder à la sexualité extraordinaire qu’elle recherche désespérément.

Les commentaires sont fermés.