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RDC : croire en Tshisekedi ?

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Lokuta, lokuta te : coincé dans les filets du piège que lui a tendu Joseph Kabila, Félix Tshisekedi peut-il vraiment sortir de l’impasse dans laquelle il s’est fourvoyé ? Christophe Rigaud fait le point sur le site « Afrikarabia ».

« Dans un long entretien accordé à TV5 Monde et au journal Le Monde, le nouveau président congolais est revenu sur les huit premiers mois de son mandat et sur la cohabitation à haut risque qui l’oblige à gouverner avec son ancien rival, Joseph Kabila, largement majoritaire au Parlement et dans les provinces – voir notre article. Au cours de l’interview, réalisée à l’issue de sa visite officielle en Belgique, Félix Tshisekedi élude largement les conditions contestées de sa victoire.

Pour le nouveau président, il ne fait aucun doute qu’il a été réellement élu et que l’ancien président Kabila a obtenu par les urnes la majorité à l’Assemblée national et au Sénat. Or, les résultats des observateurs de l’Eglise catholique (CENCO) et les fuites de données de la Commission électorale (CENI) prouvent que Félix Tshisekedi est arrivé troisième du scrutin de décembre 2018, derrière le candidat de la plateforme pro-Kabila, et Martin Fayulu, le vrai vainqueur de la présidentielle.

« Que Fayulu prouve sa victoire »

L’alliance de partage du pouvoir conclue avant l’annonce des résultats, a permis à Félix Tshisekedi de « négocier » la présidence, en échange d’une large majorité au camp Kabila dans les principales institutions congolaises. Ce « deal » des plus inattendu a certes contribué à éviter les violences, mais il place le nouveau président dans une position très inconfortable, avec des pouvoirs limités et très encadrés par le FCC de Joseph Kabila.

Félix Tshisekedi explique avoir dû composer avec le FCC, « se coaliser, s’allier, pour éviter les blocages inhérents à la cohabitation et pour éviter le pire », ce qui est juste. Les Congolais, s’ils ne sont pas dupes de « l’arrangement » conclu en secret entre Tshisekedi et Kabila, veulent laisser une chance au nouveau président pour tourner la page de 18 ans de kabilisme. Devant les journalistes de TV5 et du Monde, Félix Tshisekedi n’en démord pas, si « Fayulu prétend avoir gagné » les élections, « qu’il apporte les preuves de sa victoire ». Un argument étonnant au vu des chiffres révélés par la CENCO, mais surtout parce que la CENI elle-même n’a jamais publié les résultats complets du scrutin de décembre 2018 – voir notre article.

« Je n’ai pas à fouiner dans le passé »

Sur le dossier de la lutte contre la corruption, dont le nouveau président a fait, à juste titre, une priorité, Félix Tshisekedi marche sur des oeufs. Lorsqu’on évoque le sulfureux Albert Yuma, patron de la toute puissante Gécamines, présent avec lui à Bruxelles, et accusé de détournement de centaines de millions d’euros, le président botte en touche : « je n’ai pas la preuve de ces accusations ». Félix Tshisekedi se dit prêt à accepter un audit sur le géant minier, mais « pourquoi simplement se concentrer sur Albert Yuma et la Gécamines ? ». Le nouveau président est visiblement prêt à s’attaquer à la corruption, mais pas vraiment à l’impunité. Une instance sera créée pour lutter contre la corruption, « mais je n’ai pas à fouiner dans le passé. Trop de travail m’attend. Donc pas de temps à perdre avec des règlements de comptes. » Une position ambiguë qui interroge le mouvement citoyen La Lucha : « Puisque vous dites ne pas vouloir « fouiner » dans le passé, à quoi va servir l’organe de lutte contre la corruption que vous allez créer? À prévenir et réprimer uniquement les crimes futurs ? ».

Concernant la disparition des 15 millions de dollars des caisses du Trésor, Félix Tshisekedi joue sur les mots : « il s’agit non pas d’un détournement de fonds, mais d’une affaire de rétro-commissions. Nous sommes certains que ce n’est pas de l’argent volé au Trésor. En réalité, il y a eu de la maladresse ». La justice est saisie du dossier et le président va attendre prudemment qu’elle se prononce. Prudence également sur la responsabilité présumé de hauts militaires congolais lors des massacres et de la répression des manifestations anti-Kabila. Le président tient à respecter la présomption d’innocence : « ce n’est pas à l’individu Félix Tshisekedi de commencer à faire justice. »

Pas touche à l’armée!

Quand aux généraux « sous sanctions » américaines et européennes, Tshisekedi parle étonnement de « diabolisation infondée », balayant ainsi les rapports très documentés de l’ONU et des ONG sur les cas de John Numbi, Gabriel Amisi, Célestin Kanyama, Delphin Kahimbi ou Akili Mundos… tous cités pour leur « double jeu » et leur instrumentalisation des groupes rebelles.

Arrivé au pouvoir par surprise et sans réel préparation, Félix Tshisekedi n’avait aucun relai au sein de l’armée congolaise, toujours très fidèle à Joseph Kabila, lui-même militaire. Pour lutter contre l’insécurité et ramener la paix dans l’Est du pays, le président Tshisekedi est condamné à se reposer sur la hiérarchie existante d’une armée difficile à manier. Remettre la main sur les FARDC prendra du temps à Félix Tshisekedi. Il faudra placer ses hommes petit à petit, mais le temps presse, et la population, exaspérée par deux décennies de violence, demande des résultats immédiats.

Voilà pourquoi le nouveau président, novice en matière de sécurité, doit encore s’appuyer sur les cadres, même sulfureux, de l’armée congolaise. Sur les antennes de TV5, le président a d’ailleurs promis de délocaliser « dans quelques semaines » l’état-major de l’armée à Beni, une ville martyre meurtrie par des massacres depuis plus de 5 ans. « Une grande offensive contre les groupes armés de l’Est de la RDC » est en préparation, selon le chef de l’Etat.

La Monusco revient dans le jeu

Si avec l’armée, Félix Tshisekedi, manoeuvre pas à pas, il pourra s’appuyer sur les casques bleus de la Monusco, dont il souhaite le maintien. Le nouveau président a besoin d’aide sur plan sécuritaire, et le retour en grâce de l’ONU, longtemps marginalisée à dessein par Joseph Kabila, pourrait redonner un espoir dans la lutte contre les groupes armés, dont une centaine pullule toujours dans les Kivus. La mort du chef militaire des rebelles hutus des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), Sylvestre Mudacumura, abattu par l’armée congolaise dans la nuit de mardi à mercredi 18 septembre, constitue un signal fort pour une meilleure coopération avec les pays voisins et la Monusco. Mais il faudra toutefois obtenir des résultats rapides en matière de sécurité pour redonner confiance aux Congolais de l’Est, longtemps abandonnés par le pouvoir central.

Un « déboulonnage » prudent

Prudent avec son allié Joseph Kabila, qu’il n’entend pas bousculer, Félix Tshisekedi tient désormais un discours plus conciliant, bien loin de sa sortie à Washington sur le « déboulonnage du système dictatorial ». Félix Tshisekedi a tout intérêt au statu quo avec la coalition FCC et éviter une chasse aux sorcière qui ne ferait qu’envenimer les relations déjà tendues entre les deux alliés. Après huit mois d’un pouvoir mouvementé, le président congolais sait désormais sur qui s’appuyer pour appliquer son programme de changement : la communauté internationale et ses bailleurs de fonds, la société civile, et la population congolaise. Ces trois leviers peuvent donner quelques marges de manoeuvres suffisantes pour isoler Joseph Kabila et commencer à produire des effets sur le quotidien des Congolais.

La visite du président Tshisekedi à Bruxelles constitue le premier acte de son opération séduction auprès de la communauté internationale. Avec l’aide de l’Union européenne (UE), du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque Africaine de développement (BAD), Félix Tshisekedi peut espérer trouver des marges de manoeuvres financières. Avec la Monusco et des actions concertées avec l’Ouganda, le Rwanda et l’Angola, il peut réussir à faire baisser l’insécurité dans la région. Enfin, pour lutter contre la corruption et réformer la Cour constitutionnelle et la Commission électorale, deux conditions sine qua non pour des prochaines élections crédibles et transparentes, il pourra sans doute s’appuyer sur l’Eglise catholique et sa puissante CENCO, ainsi que sur le peuple congolais pour imposer des institutions enfin indépendantes. Pour l’instant, le FCC laisse faire, et observe. « Félix n’a franchi aucune ligne rouge » nous confie un cadre de la coalition pro-Kabila. »

Ref. Christophe RIGAUD – Afrikarabia

« Pour l’instant, le FCC laisse faire, et observe. « Félix n’a franchi aucune ligne rouge » nous confie un cadre de la coalition pro-Kabila. ». C’est tout dire…

JPSC

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