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"Il y a une remarquable continuité diplomatique entre François et Benoît XVI"

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De  sur le site du Figaro Vox :

Diplomatie: à quoi joue le Pape François?

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Dans un essai captivant, l’historien Jean-Baptiste Noé expose les grandes lignes de la diplomatie du Vatican, et certains des défis que doit relever l’Église: quel regard porter sur la mondialisation? Et comment défendre une vision chrétienne au sein d’institutions internationales qui ne le sont plus?

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire, rédacteur en chef de Conflits. Il vient de publier François le diplomate (Salvator, 2019).


FIGAROVOX.- Le pape François a récemment tenu des propos très controversés contre la dissuasion nucléaire. À la lecture de votre livre, on est assez surpris de découvrir l’influence du Vatican et l’importance de sa diplomatie. Celle-ci est-elle méconnue?

Jean-Baptiste NOÉ.- Le rôle diplomatique du Saint-Siège est en effet méconnu des catholiques eux-mêmes. Il remonte pourtant aux origines de l’Église puisque les papes ont eu des envoyés (des nonces) dès l’époque antique. En 1701, Clément XI a créé une école destinée à former les futurs diplomates, qui existe encore et qui a servi de modèle aux autres États européens. Lors du congrès de Vienne (1814), il est reconnu aux nonces le titre honorifique de doyen du corps diplomatique, titre qui a été confirmé en 1961. Le Saint-Siège est aujourd’hui l’un des États qui a le plus de relations diplomatiques, sans compter les représentants à l’ONU et ses satellites.

Le Saint-Siège a joué un rôle crucial au cours du dernier siècle. Durant la Seconde Guerre mondiale, Pie XII a été le pivot de la résistance à Hitler, structurant des réseaux d’espionnage et de fuite des prisonniers, organisant, chose sans précédent, plusieurs attentats pour tuer le dictateur ; dont le plus connu est l’opération Walkyrie. Jean XXIII est intervenu auprès de Kennedy et de Khrouchtchev pour éviter le drame du feu nucléaire lors de la crise de Cuba. Quant à Jean-Paul II, son action pour détruire le totalitarisme communiste a été décisive, comme l’a reconnu Gorbatchev lui-même.

L’action diplomatique du pape François, contre toute attente là encore tant ce pape est connu pour sa volonté de rupture, semble au contraire largement en continuité avec la diplomatie de ses prédécesseurs?

En effet, il y a une remarquable continuité diplomatique entre François et Benoît XVI. Dans les affaires du monde, le pape François a repris et achevé les dossiers ouverts par le pape Ratzinger: rapprochement avec la Russie, relations avec les mondes musulmans, dossier chinois, etc.

Bergoglio est devenu pape en n’ayant aucune expérience diplomatique.

Bergoglio est devenu pape en n’ayant aucune expérience diplomatique, contrairement à ses prédécesseurs qui soit étaient diplomates (Paul VI et Pie XII par exemple), soit avaient eu une intense expérience du monde (comme Wojtyla et Ratzinger). François s’est appuyé sur l’État profond du Vatican et une administration bien rodée. Les hommes de la Secrétairerie d’État (qui s’occupe des questions diplomatiques) sont remarquables à cet égard: ils sont peu nombreux, mais ils parviennent à abattre un travail intense.

François s’est aussi appuyé sur des hommes de grande qualité, comme les cardinaux Tauran, Parolin et Mamberti, dont la principale des qualités est le silence et la discrétion. Tout cela donne un appareil diplomatique qui fonctionne bien, avec très peu de moyens.

Vous parlez d’une «géopolitique du polyèdre», qu’est-ce que cela veut dire?

Cette expression est du pape François. Il désigne par celle-ci la mondialisation. Il explique que la mondialisation n’est pas un cercle, où tout se rejoindrait et où tout serait équivalent, mais un polyèdre, donc un monde avec plusieurs faces, plusieurs cultures, plusieurs intérêts, où chacun aperçoit les relations internationales avec son paradigme.

Le «polyèdre de la mondialisation» oblige à prendre en compte la pluralité des cultures et des spécificités humaines. Il n’y a pas un centre qui pourrait décider de tout, mais un ensemble de périphéries, qui sont des centres à leur échelle et qui vivent de façon distancée des autres centres. François a une manière originale de penser les espaces, les villes, les emboîtements d’échelle. Son raisonnement est très géographique, ce qui le rend intéressant à étudier pour un géopolitologue.

À lire aussi : Le Pape ne craint pas un schisme dans l’Église

Le pape François a été marqué par le péronisme, un mouvement politique propre à l’Argentine. Est-ce un pape populiste?

«Populisme» est le mot fourre-tout de ces années 2010, qui finit par ne plus rien signifier à force d’être trop utilisé. François se rattache au courant spirituel de la théologie du peuple, développée dans les années 1960 en Amérique latine. Ce courant s’inspire de la théologie de la libération, mais il n’a jamais sombré dans le matérialisme. Le peuple n’est pas vu comme une catégorie sociale, comme pour les marxistes de la théologie de la libération, mais comme une catégorie mystique.

Dans leur optique, le peuple, toujours présenté de façon holistique, est un tout. Il est paré de nombreuses vertus et sagesse, qui s’inscrivent dans des territoires et des lieux à défendre. L’espace l’englobe souvent, au détriment de la singularité des personnes. D’où l’attrait du pape François pour les communautés indigènes et pour les mouvements populaires. C’est cette sagesse-là du peuple mystique qu’il aime rencontrer et avec qui il aime être, comme en témoigne le récent synode sur l’Amazonie. C’est eux qu’il comprend, c’est avec eux que François est à l’aise.

Encore une idée reçue que vous démontez dans ce livre: l’Europe, contrairement à ce que disent de nombreux observateurs, ne serait pas la grande oubliée du pape, qui mise au contraire sur ses liens avec la Russie pour donner au vieux continent un nouvel élan spirituel?

Avec l’Europe, François a des rapports complexes. Ses continents de cœur sont l’Amérique latine et l’Asie, mais il a aussi une proximité avec la Russie et les zones de l’Europe dont on ne parle jamais: Bosnie, Albanie, pays baltes, îles oubliées de Lesbos et de Lampedusa. Sa rencontre avec le patriarche Kirill le 12 février 2016 restera comme l’un des temps marquants de son action diplomatique. Moscou avait rompu avec Rome depuis plus de cinq siècles et refusait toute rencontre. Que cette rencontre ait eu lieu à Cuba, île communiste où le christianisme a longtemps été banni, témoigne aussi du fait que la fin n’est jamais écrite d’avance et que l’histoire peut réserver des retournements inattendus.

Dans le discours prononcé à Strasbourg lors de sa visite de novembre 2014, il a présenté les axes d’une renaissance de l’Europe et un appel à ce qu’elle redevienne jeune et qu’elle ne soit plus une «grand-mère». Il a une grande exigence pour l’Europe dont il n’est pas certain que les députés qui l’ont applaudi aient compris tout le sens.

Diffuser le christianisme, c’est nécessairement diffuser aussi la culture romaine occidentale.

Comment le Vatican résout-il ce paradoxe que vous abordez: l’engagement pour la paix repose sur une philosophie politique profondément occidentale, alors que l’Église défend une vision universaliste des relations internationales?

La conception que nous nous faisons des relations internationales et de l’ordre du monde repose sur notre conception philosophique imbibée d’hellénisme et de romanité. L’Église, en tant qu’héritière et continuatrice de Rome, est la dépositaire et la propagatrice de la romanité. Quand Rome rencontre d’autres cultures, que peut-il se passer? Soit une dilution dans la culture rencontrée, soit une annihilation de cette culture englobée par le christianisme. C’est la difficile équation de l’inculturation. C’est toute la tension de l’évangélisation et la contradiction déchirante portée par les missionnaires. En matière culturelle, la bigamie est impossible, sauf à devenir schizophrène: on ne peut être, en même temps, l’époux de deux cultures.

Diffuser le christianisme, c’est donc nécessairement diffuser aussi la culture romaine occidentale qui est le soubassement intellectuel du christianisme. Les missionnaires qui l’ont refusé ont souvent sombré dans l’adoration béate des idoles et, in fine, dans le rejet du christianisme. Cela a été dramatiquement évoqué lors du synode sur l’Amazonie par un certain nombre de missionnaires. Par refus de convertir les populations autochtones à la foi chrétienne, certains se sont limités à un soutien purement technique et matériel. Puis sont arrivés les missionnaires évangéliques qui, eux, ont parlé du Christ et ont mis de côté le salut politique. Ils ont attiré les masses et aujourd’hui l’Église catholique se trouve en grande difficulté dans le monde amazonien, pris entre la tenaille du renouveau indigéniste et le marteau du dynamisme évangélique.

Notre monde est en train de redevenir païen.

Le même drame se joue en Afrique, où s’affrontent les trois mouvements spirituels de l’islam, du christianisme et de l’animisme. Dans ce jeu à trois, il est tout à fait possible que dans les décennies à venir l’animisme boive l’islam et le christianisme comme un buvard boit l’encre, asséchant la présence chrétienne en Afrique. Par peur d’être romaine, l’Église prend le risque de ne plus être.

Autre difficulté, le Vatican siège dans des organisations internationales dont la philosophie des droits humains semble s’être nettement éloignée de la conception chrétienne initiale…

C’est un beau défi qui est posé à l’Église: celui de christianiser des institutions internationales qui se sont éloignées de la philosophie politique chrétienne qui leur a donné naissance.

Par ses peurs irrationnelles, par son rejet de l’homme, par son culte démesuré rendu à la nature, notre monde est en train de redevenir païen: il cède à de nouvelles divinités dont la liturgie emprunte le mimétisme aux divinités antiques. Philippe Nemo et Rémi Brague, dans deux ouvrages différents, La belle mort de l’athéisme moderne (2013) pour le premier, Des vérités devenues folles (2019) pour le second, ont démontré l’impasse de l’athéisme et sa disparition. Cette mort de l’athéisme débouche, et nous le voyons actuellement en Europe, sur une nouvelle forme du paganisme antique où l’être humain est tellement détesté que l’on demande à le faire disparaître. C’est la voie défendue par les écologistes radicaux dont la haine de l’homme conduira aux mêmes désastres que le communisme.

De toutes les religions, le christianisme est la seule à avoir une philosophie qui soit personnaliste.

Avec Laudato si’, François a essayé de placer la réflexion écologique dans une perspective chrétienne, c’est-à-dire fondée sur le primat de la personne humaine. De toutes les religions, le christianisme est la seule à avoir une philosophie qui soit personnaliste. Et donc dans des institutions internationales qui nient la dignité de la personne humaine, de sa conception à sa mort, le rôle des diplomates du Saint-Siège est de la rappeler et de la défendre.

Dans son attitude face à l’islam, on a pu reprocher à l’Église sa naïveté. Au contraire, vous soutenez que la «doctrine Tauran» est plus subversive qu’il n’y paraît?

Le cardinal français Jean-Louis Tauran, décédé en 2018, fut l’un des grands diplomates des dernières décennies. Il a été le bras droit de trois papes, Jean-Paul II, Benoît XVI et François, en charge du dialogue avec l’islam.

La «doctrine Tauran», l’expression est de Jean-Paul II, consiste à contraindre les dignitaires musulmans à sortir de l’ambiguïté en les plaçant face à leur responsabilité. Si l’islam, ce n’est pas les attentats, les massacres des chrétiens d’Orient, l’oppression faite aux femmes, alors ils doivent le dire de façon claire et haute et ils doivent prendre les mesures adéquates pour empêcher cela.

Le cardinal Tauran était très lucide sur les dangers de l’islamisme. Raison pour laquelle il a toujours cherché à discuter avec les autorités éclairées, au Maroc, en Iran, en Égypte, et à les mettre en avant pour bloquer la poussée extrémiste. Il a aussi développé la notion de réciprocité, à savoir autoriser les chrétiens à pouvoir pratiquer librement leur culte dans les pays musulmans. En dépit des incertitudes qui demeurent, de nettes avancées ont pu avoir lieu, même s’il reste encore à faire.

Commentaires

  • Sur la Chine.
    Pour autant que ma lecture soit correcte, le cardinal Parolin avait préparé ce qui s'est produit.
    Mais Benoît XVI refusait d'accorder son placet.
    François est arrivé, il a remis en selle et à cet ouvrage, ce cardinal américain qu'il a dû ensuite déchoir.
    Et il a accepté ce que refusait son prédécesseur.
    Où serait donc la continuité ?

  • Voir le commentaire sur Benoît-et-moi : http://www.benoit-et-moi.fr/2020/2019/12/09/diplomatie-vaticane-continuite-avec-benoit-xvi-vraiment/

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