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Édouard Husson: «La comparaison entre le Brexit et la Réforme anglicane passe à côté de l’essentiel»

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Libéralisme « athénien » contre « romanité » étatique ? Le cliché date un peu mais il a la vie dure. Lu sur le site « figarovox », sous la plume d’Edouard Husson :

« Dans un article publié le 10 février dans ces colonnes, Bradford Littlejohn propose une comparaison argumentée entre le Brexit et la Réforme anglicane du XVIe siècle. Il fait l’analogie entre le rejet par le clergé anglais des taxes pontificales et celui, de la contribution britannique à l’UE. Il compare la bureaucratie bruxelloise à celle du Saint-Siège au XVIe siècle. L’article est brillant, donne à réfléchir mais passe un peu vite sur le comportement d’Henri VIII.

Malgré la rupture avec Rome, l’Angleterre suivit largement la même histoire que le continent européen.

La rupture avec Rome fut aussi le début d’un comportement de plus en plus despotique du souverain britannique, l’orée d’un siècle et demi d’absolutisme monarchique, de persécutions religieuses, de révolutions, le pays ne retrouvant un équilibre politique qu’à l’occasion de la Glorieuse Révolution de 1688-1689. De fait, durant cette période, l’Angleterre suivit largement, en solitaire, la même histoire que le continent européen. La coupure entre l’Angleterre et le reste de l’Europe ne fut qu’apparente, le continent entrant dans une spirale propre de violence, des guerres de Religion à la Guerre de Trente Ans. Contrairement aux apparences, l’Angleterre, d’Henri VIII à Cromwell, ressembla au continent, en plus brutal. De Shakespeare à Hobbes, on voit les plus grands esprits anglais du temps marqués profondément par la violence de l’histoire insulaire. Aujourd’hui encore le calendrier de l’Église catholique fait une place aussi grande aux martyrs de l’époque élisabéthaine qu’à ceux de la Révolution française ou de la Guerre d’Espagne. Du meurtre de Charles Ier à la dictature de Cromwell, l’Angleterre connut un épisode proto-totalitaire.

Le Brexit a toutes les caractéristiques d’une nouvelle « Glorieuse Révolution  ».

Le Brexit est à l’opposé de cette histoire sanglante. Il représente une reconquête par la Grande-Bretagne de libertés fondatrices. Plutôt que de le placer dans la continuité de la monarchie des Tudors, il a toutes les caractéristiques d’une nouvelle «Glorieuse Révolution». Il est un moment éminemment «conservateur» de l’histoire anglaise et britannique, pour laquelle les libertés individuelles et l’équilibre des pouvoirs sont toujours «à l’origine» et risquent, régulièrement, d’être perdus, oubliés, déformés. Ce à quoi nous avons assisté, entre 2016 et 2019, c’est la tentative d’une partie des parlementaires de manigancer avec une partie de la haute fonction publique un échec du Brexit, contre la volonté populaire. Au bout du compte, les diverses protections de la liberté que permettent les institutions britanniques l’ont emporté. Il a été possible aux défenseurs du Brexit de rendre la parole à la souveraineté populaire et de faire aboutir le souhait majoritaire: réenraciner clairement la liberté et la souveraineté dans la nation. Lorsque Boris Johnson est allé conquérir les terres travaillistes du nord de l’Angleterre, il a renoué avec le conservatisme populaire de Benjamin Disraëli, le fondateur du parti conservateur moderne dans les années 1840.

En quittant le projet fédéraliste européen, les Britanniques ont renoué avec le meilleur de la culture européenne.

Pour comprendre ce qui se passe avec le Brexit, il faut se défaire de la fascination malsaine de la philosophie politique pour Machiavel, Hobbes et Rousseau, concepteurs des tyrannies modernes. Revenons à la tradition des penseurs de la liberté et de la loi naturelle, d’Aristote à Edmund Burke. En quittant le projet fédéraliste européen, grâce auquel son père fondateur, Jean Monnet, voulait substituer «l’administration des choses au gouvernement des hommes», la Grande-Bretagne a renoué avec l’ambition politique d’une société de liberté, d’une démocratie légitime. Les Britanniques ont renoué avec le meilleur de la culture européenne. Ils sont sortis de l’Union Européenne pour… retrouver le civisme qui animait déjà les Athéniens combattant l’Empire perse ou la République romaine. La Réforme anglicane avait été une séparation du reste de l’Europe pour le pire. Le Brexit sera-t-il, au contraire, l’amorce d’une renaissance politique pour toute l’Europe? Cela dépend de nous: avons-nous encore le goût de la liberté?

Ref. Édouard Husson: «La comparaison entre le Brexit et la Réforme anglicane passe à côté de l’essentiel»

Édouard Husson est historien, professeur des universités et directeur de l’Institut Franco-allemand d’Études Européennes à l’Université de Cergy-Pontoise. Il vient de publier Paris-Berlin: la survie de l’Europe(Gallimard, collection Esprit du Monde, 2019).

JPSC

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