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Une enquête sur les "recalés de la sainteté"

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Du site du Figaro Vox () :

Ils ont raté de peu l’auréole: enquête sur les recalés de la sainteté

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Dans «Presque saints!», le journaliste Jérôme Anciberro propose une stimulante histoire de l’Église catholique, examinée au prisme des canonisations qui n’ont jamais abouti.

Contrairement à d’autres papes, Pie XII n’a toujours pas été reconnu saint par l’Église.
Contrairement à d’autres papes, Pie XII n’a toujours pas été reconnu saint par l’Église. Wikimedia Commons - CC

Jérôme Anciberro est journaliste spécialisé dans les affaires religieuses. Il a été rédacteur en chef de Témoignage chrétien et de La Vie. Il est l’auteur de Presque Saints! (Tallandier, 2020).


FIGAROVOX.- D’ordinaire, on s’intéresse davantage aux saints plutôt qu’aux personnes qui ont failli l’être… mais qui n’ont finalement pas été «canonisées». D’où vous est venue l’idée de ce livre?

Jérôme ANCIBERRO.- Les procédures qui conduisent dans l’Église catholique à une béatification ou à une canonisation relèvent d’un contrôle de qualité. Il est donc normal, et d’une certaine façon rassurant pour les catholiques, que certains candidats soient recalés ou que l’étude de leur cas prenne beaucoup de temps. En me penchant sur cette question, ma curiosité a été aiguisée car je n’ai pas vraiment trouvé d’étude générale: à quelques exceptions près, les saints qui «réussissent», c’est-à-dire ceux qui sont dûment béatifiés ou canonisés, prennent toute la place, aussi bien dans les églises que dans les librairies. J’ai donc tenté, à l’aide des travaux de nombreux historiens et spécialistes de la question, une première exploration en choisissant des personnages généralement connus qui ont tous fait l’objet de tentatives assez sérieuses de béatification sans que celles-ci n’aboutissent, de Charlemagne à Pie XII, en passant par Christophe Colomb ou Louis XVI.

Quelles sont les cases à cocher pour être reconnu saint par l’Église?

C’est une procédure complexe et qui a évolué au cours de l’histoire. Précision préalable: en bonne théologie catholique, il existe une multitude de saints - c’est-à-dire tout simplement de personnes qui sont au Ciel - dont l’Église n’a pas connaissance. Les saints béatifiés ou canonisés (la béatification est théoriquement une étape vers la canonisation) sont simplement des saints «garantis» par l’Église catholique et pour lesquels elle autorise le culte public.

Pour chacune des voies d’accès à la béatification ou à la canonisation, les contrôles sont multiples et rigoureux.

Pour simplifier, il y a trois voies qui permettent de faire avancer une cause en béatification ou en canonisation. D’abord celle du martyre, c’est-à-dire la mort infligée «en haine de la foi» ; ensuite, celle de la pratique des vertus à un degré dit «héroïque» ; enfin, celle de l’offrande volontaire de la vie, c’est-à-dire de la mort acceptée par charité, sans qu’il y ait à proprement parler de persécution, par exemple en soignant des malades contagieux. Pour chacune de ces voies, les contrôles sont multiples et rigoureux. On vérifie aussi les biographies et les éventuels écrits afin de voir si rien n’est incompatible avec la doctrine catholique. Sans compter les fameux miracles, nécessaires pour «sceller» une procédure, dont l’étude est conduite à part, mais dont les martyres sont dispensés, en tout cas dans un premier temps.

Une fois reconnu saint, peut-on être destitué de son auréole si des éléments nouveaux sont portés à la connaissance des autorités ecclésiales?

Question délicate! Car l’infaillibilité pontificale semble en jeu puisque c’est bien le pape qui, à l’issue des procédures complexes évoquées, proclame telle personne bienheureuse ou sainte.

À partir du moment où les procédures se sont mises en place, en gros dès la deuxième moitié du XIIe siècle, le risque d’une erreur humaine a été rendu possible. D’où la nécessité d’un contrôle de plus en plus minutieux. Dans les faits, il n’y a pas de destitution formelle. Mais il existe des cas où la question se pose, comme, par exemple, pour sainte Philomène au XIXe siècle (dont on s’est rendu compte qu’elle n’avait jamais existé!), ou encore aujourd’hui pour saint Jean Népomucène, un saint du XIVe siècle… qui pourrait avoir été pris pour un autre. Une manière pragmatique de régler la question est de jouer sur l’existence de différents calendriers liturgiques: un saint devenu controversé peut disparaître du calendrier romain général pour ne rester que dans un calendrier très local, officiellement reconnu mais beaucoup moins exposé.

Certaines causes sont plus délicates que d’autres… notamment lorsque la foi se mêle à la politique: ainsi de la reine Isabelle la catholique, ou encore de Louis XVI?

Pour des gens qui ont exercé des responsabilités, il est difficile de distinguer complètement leurs vertus personnelles de leur action publique. Sans compter qu’entre le moment où la personne a vécu, celui où la décision a été prise de lancer une cause et celui où, finalement, les procédures arrivent à leur terme, les sensibilités peuvent évoluer.

Pour ce qui est d’Isabelle la Catholique, on aura beau insister sur la piété de la reine de Castille et son exercice héroïque des vertus, sa décision de chasser les Juifs d’Espagne en 1492 pose aujourd’hui une grave question de fond.

Dans les siècles précédents, avoir un saint national ou membre d’une lignée royale avait aussi un impact symbolique, ce qui motivait d’autant les gouvernements ou certaines familles puissantes.

En ce qui concerne Louis XVI, le débat est le suivant: faut-il le considérer comme un martyr, mort pour défendre sa foi, ou bien comme une simple victime des circonstances politiques? L’Église a assez vite tranché le débat: la cause n’a finalement pas été ouverte.

En règle générale, le succès ou l’échec d’une cause dépendent-ils pour partie de rapports de force au sein des différents courants de l’Église?

Pour certaines causes qui touchent à des enjeux théologiques, politiques ou symboliques importants, sans aucun doute. Béatifier un représentant d’un courant théologique affirmé n’est évidemment pas neutre et le succès de certaines causes, ou en tout cas la rapidité de leur aboutissement, dépend largement de la capacité de leurs soutiens à mobiliser les moyens adéquats, à fournir rapidement des informations précises, à faciliter le travail des experts, à répondre aux objections, etc. Des commentateurs se sont par exemple étonnés de la rapidité de la béatification de saint Josemaria Escriva de Balaguer, le fondateur de l’Opus Dei. Dans les siècles précédents, avoir un saint national ou membre d’une lignée royale avait aussi un impact symbolique, ce qui motivait d’autant les gouvernements ou certaines familles puissantes. On peut dans ces cas-là parler d’un véritable lobbying. Mais d’après ce que j’ai pu constater, la plupart des causes, moins exposées, se déroulent dans un climat relativement serein.

Vous revenez aussi sur la mémoire du pape Pie XII. Le Vatican s’apprête à ouvrir ses archives sur ce pape controversé. Verra-t-on enfin le fin mot de l’histoire?

La question centrale dans le cas de la cause en béatification de Pie XII concerne son attitude durant la Seconde Guerre mondiale vis-à-vis du génocide des juifs. Certains lui reprochent son «silence». La question est, d’un point de vue historique, relativement claire: si Pie XII ne s’est pas vraiment «tu», ses interventions publiques sont restées pour le moins discrètes. Pour autant, le Saint-Siège, et par conséquent Pie XII à sa tête, a tenté de multiples manières, notamment par le biais de son action diplomatique et humanitaire, d’intervenir en faveur des juifs, ce pour quoi les responsables des communautés juives de l’époque l’ont remercié. À partir de là, on entre dans le domaine de l’interprétation, où les enjeux politiques et ecclésiologiques prennent un poids important. En s’appuyant parfois sur les mêmes documents, certains font du pape un véritable héros, un «Juste entre les nations», tandis que d’autres tiennent à le faire passer pour un monstre d’indifférence, pour ne pas dire pire. De ce point de vue, je crains que le «fin mot de l’histoire» soit difficile à obtenir à court terme...

L’ouverture des archives du pontificat de Pie XII est une très bonne chose.

Le cas de Pie XII est emblématique de tout ce qui est en jeu dans les causes les plus complexes: la réalité, documentée par les enquêtes internes, des vertus de l’homme, les équilibres au sein de l’Église - Paul VI a ouvert la cause de Pie XII en 1965 en même temps que celle de Jean XXIII! - et la confrontation avec les jugements portés soixante ans après sur le rôle historique du personnage.

Quoi qu’il en soit, l’ouverture des archives du pontificat de Pie XII est une très bonne chose. Cela permettra au moins de mettre un terme aux polémiques récurrentes sur les réticences du Vatican à laisser les historiens travailler sur cette période.

L’Église voit aussi des opportunités pastorales dans les canonisations qu’elle mène: elle juge qu’il y a des moments plus ou moins importants que d’autres pour reconnaître les saints?

Bien sûr. C’est même l’utilité des béatifications et des canonisations: stimuler la piété des fidèles en leur offrant des modèles garantis. Or, on ne stimule pas les fidèles de 2020 de la même manière que ceux du XIIIe siècle… Sans compter qu’il en faut pour tout le monde, y compris, d’ailleurs, ceux qui sont loin de l’Église… C’est l’un des enjeux pour l’Église catholique que de réussir à répondre à toutes ces attentes sans pour autant se transformer en supermarché de la piété. De ce point de vue, les décisions du concile Vatican II consistant à mettre en avant des figures africaines ou asiatiques ont sans doute beaucoup apporté à la vigueur de sa pastorale dans ces aires géographiques. Aujourd’hui, un des défis qui se posent est la capacité de l’Église catholique à proposer plus de modèles de saints laïcs, c’est-à-dire qui ne soient ni prêtres ni religieux. Autant dire que les experts de la Congrégation pour les causes des saints ne sont pas près de se retrouver au chômage.

Commentaires

  • Cet article fait la part belle aux motivations sociologiques, idéologiques, politiques et autres mondanités intervenant dans le choix des modèles de la foi chrétienne élevés sur les autels de l’Eglise catholique. Passons sur les vertus et les miracles édifiants ? Le surnaturel, c’est bon pour les comptines destinées aux enfants et les hagiographies pour les grand’mères crédules. Et puis, on ira tous au paradis: c’est bien connu...

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