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Emmanuel Hussenet : « Ce qui m'inquiète plus que le virus, c'est la peur que nous en avons »

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emmanuel-hussenet_article.jpgDans les temps inédits où l’on se calfeutre pour éviter la propagation du coronavirus, Emmanuel Hussenet, auteur de Robinson des glaces, explorateur passionné des banquises et philosophe, donne son témoignage à Théophane Leroux pour les lecteurs  du magazine « Famille Chrétienne » :

« Je suis confiné à la campagne, en Bourgogne. Sur le plan personnel, cela ne change pas forcément grand-chose et je ne souffre pas de la claustration. Sur le plan collectif, je ne peux pas être imperméable à ce que subissent beaucoup de personnes. J’ai beaucoup de peine pour ceux qui vivent un confinement dans un contexte de tension, dans un studio bruyant ou un quartier qui ne leur permet même pas de jouir des premiers soleils.

J’ai une expérience du confinement volontaire : en expédition, lorsqu’on est seul dans son kayak au milieu des glaces, on accepte la solitude et on est totalement maître de soi. On a la liberté de pouvoir disposer de sa propre vie, quelles que soient les conditions même si elles sont austères, par exemple lorsqu’on reste enfermé sous la tente pendant trois ou quatre jours à cause d’une tempête. Si elle est acceptée, si elle découle d'un choix personnel, la contrainte physique n’est pas déterminante. Quand elle résulte d’un pouvoir en place qui touche ce qui est le plus fondamental, la liberté, quelque chose de l’ordre du sacré. La question que soulève cette situation est celle du sens de la vie: enfermer des gens au prétexte qu'il faut protéger des vies, même si cela est présenté comme nécessaire, a quelque chose de paradoxal, car on ne peut vivre que dans la liberté.

« Il y a des morts que la société accepte, d'autres non »

Quand on part en expédition, on sait qu’on prend des risques, qu’on accepte et mesure, on vit avec eux au point qu’à un moment, on ne les voit plus, ils font partie des paramètres qui nous conditionnent et nous inscrivent dans une trajectoire. On anticipe le danger, on est concentré sur les besoins vitaux. Et le principal besoin vital, ce n’est pas boire, manger ou dormir, mais c’est se déplacer. Si l’on est immobilisé sous sa tente, on meurt : tout l’enjeu d’une expédition, c’est de se déplacer. C’est donc la liberté, c’est le choix de sa route. Pour un prétexte sanitaire, on suspend notre route. Malheureusement, le Covid-19 fait beaucoup de victimes, mais moins que d'autres pathologies ou que des causes accidentelles auxquelles nous sommes habitués. Il y a des morts que la société accepte, d'autres non. Le virus fait peur parce que nous n'avons pas appris à vivre avec lui, ce qui est assez étonnant puisqu'à l'âge de la mondialisation, chacun sait que la pandémie est un risque majeur. Ce qui m'inquiète plus que le virus, c'est la peur que nous en avons, laquelle rend suspecte toute personne que nous croisons. Dans notre système hygiéniste, figé sur des représentations matérialistes, les relations humaines sont mises à mal. Le rapport à la vie strictement quantitatif qui nous est imposé exclut la question du sensible et celle de sens. C'est selon moi très préoccupant.

La mort est quelque chose de tabou

Aujourd’hui, la mort est quelque chose de tabou, dont on s’en occupe très mal d’une façon générale. L’an dernier, la personne qui m’était la plus proche au monde est décédée, j’étais en sa présence à ce moment-là. On voit l’énorme hiatus qui existe entre le dispositif médical, qui est une véritable machine de guerre, et la simple réalité humaine, la simple fragilité de la vie et le passage vers la mort. Cette approche mécanique, matérialiste de la mort, ignore autant les enjeux de l’existence commune que les milliers d'années d’enseignements spirituels. Pour les Chrétiens, la vie est un temps de mise à l'épreuve au cours duquel il nous est demandé de nous rendre digne d'accéder à la vie éternelle, plus importante que la vie incarnée. L'idée d'un au-delà ayant été bannie, on se retrouve avec un corps dont on ne sait plus que faire sinon le maintenir en vie aussi longtemps que possible. La fébrilité sanitaire nous laisse désemparés devant la perte d'un proche et la perspective de notre propre disparition.

J'estime pour ma part que s'il y a bien évidemment des mesures sanitaires à prendre, elles peuvent l'être sans pousser des milliers de petites entreprises à la faillite, sans verbaliser quiconque marche sans attestation à cent mètres de chez lui. L'absence de masques est révélatrice de l’impréparation des gouvernements, comme de leur incapacité à faire face de manière pertinente et mesurée à toute forme d'imprévu, et la mort en fait partie. Nous nous retrouvons à défendre la vie nue, sans qualité particulière alors même que ce qui fait avancer la plupart d'entre nous c'est la recherche de qualité, de vérité, d'amour. Faire de la vie humaine la valeur suprême nous dispense de rechercher le sens que nous pourrions lui donner. Pourtant, ce qui compte dans le temps qui nous est imparti, c'est peut-être ce que l'on en fait, ce qui guide nos élans, ou ce que l'on retire des épreuves qui jalonnent notre route.

Du sacrifice de l’un le salut de tous

Dès lors que l’on pense avoir une âme, la vertu suprême ce n'est pas la vie, mais le sens qu'on lui donne. Quel est ce sens ? Dans les années 1940, la Résistance, parmi beaucoup d'autres épisodes de l'histoire, témoigne que pour que tous puissent vivre, il faut parfois que certains consentent à se sacrifier. Nombre de jeunes gens se sont fait tuer pour défendre une valeur sacrée qui n'était pas leur vie, puisqu'ils l'ont perdue, mais la liberté. Le christianisme n'est rien d'autre que l'histoire d'un sacrifice, lequel n'en finit toujours pas de nous dire que du sacrifice de l'un peut dépendre le salut de tous. Notre devoir de vie est aussi un devoir de don, et d'acceptation que notre vie ait une fin. La crise que nous traversons nous rappelle que lorsqu'une société est confrontée à un véritable danger, le sacrifice de quelques-uns, aujourd'hui les soignants décédés du virus, est incontournable. Il fait partie du prix à payer pour vivre, en particulier pour vivre libre.

Pour quoi suis-je prêt à mourir ?

Il m'arrive de me demander : pour quoi suis-je prêt à mourir ? Ma réponse me dira ce pour quoi je vis. Dans mon métier de guide d'expéditions polaires, il m'est souvent arrivé d'exposer des gens à des risques physiques marqués. Je m'estime totalement responsable de leur sécurité, et en cas d'incident, j'interviens sans penser ce à quoi je m'expose moi-même. C'est une sorte de sens du devoir, que nous avons tous. Dès lors que la vie de quelqu'un dépend de notre décision, on ne raisonne plus de la même façon, l'objectif prioritaire est de placer l'autre hors de danger, et notre propre vie n'a plus tant d'importance.

Pour des raisons sanitaires, qui dissimulent peut-être d'autres motifs moins avouables, on demande à la totalité des habitants du pays de se claquemurer. D'accord, mais cela ne doit pas nous faire oublier que la vie ne peut se rattacher à notre seule peur de la mort. La vie est aussi une prise de risque et un combat, que nous finirons tous par perdre si l'on ne croit pas en une forme d'éternité. Mais que l'on y croie ou non, notre corps physique reste avant tout le support matériel d'un processus de conscience qui exige toute notre liberté. »

Ref. Emmanuel Hussenet : « Ce qui m'inquiète plus que le virus, c'est la peur que nous en avons »

JPSC

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