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La mort de Marc Fumaroli, pourfendeur de la dictature des images et des écrans

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De Diane Gautret sur le site de Famille Chrétienne :

Mort de Marc Fumaroli : « Il nous faut revenir au bon sens : de bons livres et de bonnes images » confiait-il

24/06/2020

Professeur au Collège de France et académicien, Marc Fumaroli est mort le 24 juin à l’âge de 88 ans. Spécialiste des XVIIe et XVIIIe siècles, il était l'un des derniers grands érudits de la civilisation européenne. Famille Chrétienne l’avait rencontré il y a quelques années pour évoquer avec lui la nouvelle dictature des images et des écrans dans nos vies.

Les images du « webmonde », devenues omniprésentes dans nos vies, sont-elles une nouvelle forme de pollution ?

Ces images ne sont pas polluantes par principe, mais distrayantes. Je ne suis pas contre la distraction, estimant que le bon usage du repos permet de juger de la santé d’une société, mais la distraction est périlleuse. Car on passe facilement de la distraction à la dispersion, puis à la passivité et à l’hébétude. L’image qui vaporise l’attention suscite l’inquiétude. Comment fonder une éducation sur ces images ? Elles sont faites pour retenir l’intérêt de façon si brutale, si éphémère, que la mémoire s’en trouve appauvrie. Elles n’apprennent pas à ralentir ni à observer.

Les écrans prennent de plus en plus de place dans nos vies, au point de nous couper de la réalité…

La perte de sensorialité liée à un mode de vie de plus en plus abstrait et technique où on ne peut se voir qu’en image, ne s’écouter qu’avec un micro, sans jamais se toucher, débouche sur une perte de repères. Les « hyperindividus » de l’économie globalisée, bardés d’appareils, d’antennes et de prothèses, ont-ils la moindre chance de croître en force, et éventuellement en sagesse, de lire, de converser entre amis, de se promener, de regarder un tableau, de se mettre au piano, à plus forte raison d’aimer, de souffrir, de mourir ? J’en doute. Au contraire, la capacité de sentir avec nos cinq sens, notre corps, mène, elle, vers une maturation morale et une vie meilleure.

 

Notre monde « virtualisé » est-il encore habitable ?

Un « monde habitable » (selon les mots d’Hannah Arendt) suppose des conditions matérielles, mais également spirituelles. L’esprit aussi a ses exigences. Baudelaire parlait de phares, signes durables et sensibles, donnés et éprouvés par le temps comme le langage, les mythes, croyances, symboles, lieux et œuvres, mœurs et manières, gravés dans la mémoire d’une communauté, et rendant possible le dialogue avec soi-même et avec les siens. C’est une question de survie humaine : notre intelligence, notre imagination, notre cœur, nos sens, pour ne rien dire de l’âme, ont un besoin vital de ce monde symbolique durable et habitable, au même titre que notre corps a besoin d’oxygène.

Or ni la circulation de l’information en boucle, ni la consommation d’images et de marchandises évacuables, ne peuvent remplir ce rôle. Seule la beauté a rendu et peut rendre l’homme à lui-même. L’opinion est très sensibilisée sur la dégradation de l’écosystème planétaire. Mais personne ne semble réaliser que l’esprit et le cœur sont en danger. Ils ont besoin d’une réanimation.

Comment résister ?

Il nous faut revenir au bon sens : de bons livres et de bonnes images qui ne soient pas un leurre ! Pour moi, la famille est la première éducatrice. L’école, elle, a pour objectif de transmettre un savoir, de cultiver l’intelligence et la mémoire, de stimuler l’imagination, de rendre apte à vivre en société. Est-elle possible avec des enfants exposés dans ce que j’appelle la « piscine médiatique » ? L’objectif de l’éducation n’est-il pas en contradiction avec le monde de fiction en miettes dont le but est d’occuper et de désoccuper les enfants ?

Vous êtes très pessimiste sur le climat culturel français. Pourtant de nombreuses personnes œuvrent aujourd’hui en faveur de la beauté, de la sensibilité, de la valorisation du patrimoine, etc.

Je ne suis pas pessimiste ! Je dis que notre monde est plein de périls. Certes, je vois des contre-feux, mais ces contre-feux doivent se contenter de n’être que cela. Il n’y aura jamais un mouvement équivalent à la Renaissance ou au romantisme pour s’emparer de l’univers et le régénérer. L’individualisme actuel l’empêche.

Il est certain que la France et l’Europe continentale sont les plus vulnérables aux dommages de la « culture monde ». Notre élite prétentieuse qui se voudrait américaine donne l’exemple d’un sabordage des humanités et d’une idéologie pédagogiste dévastatrice. Elle refuse de voir la richesse de notre tradition poétique, littéraire et artistique, ainsi que de ses attaches à l’Antiquité gréco-latine et au Moyen Âge.

Il y a pourtant là un programme tout trouvé pour éveiller l’imagination, la sensibilité, le goût, le sens des formes du langage d’un grand nombre de ses enfants et de ses adolescents, notamment ceux de l’immigration récente, avant qu’ils ne soient happés par le prêt-à-porter médiatique et les spécialisations techniques. Si la France ne rallume pas ses phares, d’autres en Europe le feront pour elle et au besoin sans elle.

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