Du site "Pour une école libre au Québec" :
26 août 2023
On a longtemps pensé que les différences culturelles entre les grandes civilisations allaient s’estomper avec le temps et le développement économique. Mais tel n’est pas le cas.
The Economist (voir la traduction de la majorité de l’article ci-dessous) souligne, en s’appuyant sur le World values survey, que contrairement à ce qu’on a longtemps pensé, les valeurs occidentales divergent du reste du monde. À quel point ce phénomène est-il marqué ?
Vincent Tournier — On a longtemps pensé que les différences culturelles entre les grandes civilisations allaient s’estomper avec le temps et le développement économique. Telle était la thèse optimiste qui a été avancée par Francis Fukuyama au début des années 1990, au moment de la chute de l’URSS et au début de la mondialisation. Le politologue américain Ronald Inglehart, décédé récemment, qui est le concepteur des World Values Survey (WVS), est allé dans le même sens. Sa réflexion a été fortement influencée par le contexte français puisqu’il est venu en France lors des événements de Mai-1968. Il a pensé qu’une profonde transformation des valeurs était à l’œuvre qui se caractérisait par le déclin du nationalisme, de la religion et du consumérisme au profit de ce qu’il appelait les valeurs post-matérialistes : l’autonomie individuelle, la recherche du bien-être, l’engagement civique. Pour désigner cette mutation, il parlait d’une « révolution culturelle ». Ses principaux ouvrages datent des années 1990, au moment où l’optimisme était à son maximum.
Assez rapidement toutefois, les données ont indiqué que son schéma évolutionniste ne marchait pas complètement. Alors que les pays occidentaux connaissent toujours un processus de libéralisation des mœurs, ce que vient de confirmer une équipe française dirigée par Pierre Bréchon qui travaille sur les données européennes des WVS, les comparaisons internationales montrent que les zones de fracture sont toujours très nettes. Même si la plupart des pays évoluent, il y a toujours des différences très fortes entre les grandes ères civilisationnelles : l’Asie, l’Amérique latine, l’Europe et ses divisions (protestants, orthodoxes et catholiques), le monde musulman.
— Concrètement, quelles sont les valeurs où l’on observe les écarts se creuser ?Vincent Tournier — Les principaux points de clivage portent sur le rapport à l’autorité, aux hiérarchies sociales, à la religion et aux mœurs. Ce dernier point occupe une place particulièrement saillante, notamment la question de l’homosexualité. Le rapport à l’homosexualité cristallise les antagonismes. Les pays occidentaux voient l’homosexualité comme une situation légitime qui mérite de recevoir une pleine reconnaissance sociale et juridique, alors que le reste du monde, à des degrés divers, considère que l’homosexualité est une situation anormale qui doit rester tabou ou cachée [ou punie…]. Précisons que cette divergence ne concerne pas seulement les hommes, car, dans la plupart des pays, les deux sexes ont généralement des opinions assez proches sur les mœurs.
— Y a-t-il néanmoins des thématiques où une convergence s’opère ?
Vincent Tournier — Les convergences se font plutôt au sein des zones civilisationnelles. C’est particulièrement le cas en Europe occidentale : les pays du sud, traditionnellement plus catholiques, ont tendance à se rapprocher des pays protestants du nord sur les questions de société.
- Pourquoi pensait-on, notamment Inglehart, que, avec le temps, les valeurs allaient converger ?
Vincent Tournier — La thèse de Ronald Inglehart est que la sécurité matérielle conditionne les valeurs individuelles : plus la sécurité progresse, plus les individus ont tendance à adhérer aux valeurs post-matérialistes. Ce schéma n’est pas faux : le développement des valeurs individualistes à partir des années 1960 doit beaucoup à la hausse du pouvoir d’achat et du niveau d’éducation, ainsi qu’à la mise en place de la sécurité sociale et au bouclier américain, autant de facteurs qui ont créé un environnement rassurant, ce qui permet par exemple aux individus de prendre leurs distances avec la religion.