Esprit… du catholique, es-tu là ? (25/02/2011)

 

Nous reproduisons un article du mois d'octobre dernier, paru sur le site "le temps d'y penser", tant la pertinence et l'actualité du propos nous paraissent évidents.

«Toute maison divisée contre elle-même périra » Barrès, La colline inspirée

Cette parole, l’auteur l’a empruntée au Christ « tout royaume divisé contre lui-même court à la ruine » (Matt, XII, 25)

En lisant l’introduction que consacre la revue Esprit dans son numéro « Adieu au catholicisme en France et en Europe ? », la nausée m’a pris. Une fois de plus. Voilà, comme tant d’autres, cette revue tombé dans les mêmes propos sur l’Eglise. Un peu à notre tour, puisqu’après tout nous sommes catholiques, de donner notre avis.

D’abord je pense à Bernanos qui rappelait de manière cinglante que l’Eglise a besoin de saints, et non de réformateurs, ce que nous partageons avec les compères de LTDP. Ce même Bernanos dans La France contre les robots assénait qu’on ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas tout d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure.

L’Eglise serait en crise. Non, l’Eglise n’est pas en crise. Elle renvoie l’Europe à sa crise, elle bien réelle. Les Eglises se vident ? L’Eglise ne se réforme pas ? Elle n’adhère pas à la modernité post moderne (ce n’est même plus Habermas qu’il faut citer, mais un grand intellectuel du calibre de Minc à ce stade…) ? L’Eglise est traditionnelle ? Les laïcs désespèrent ? Il n’y a plus de prêtres ? Plus de paroisses ? Vatican II est mal interprété ?…

Jugeons plutôt : les catholiques ne reconnaissent qu’une seule foi, symbolisée dans le Credo. Cette foi n’est pas une vérité parmi d’autres, c’est La Vérité. Elle fournit l’architecture de leur doxa. Les humanités y ont leur place. Pourquoi donc la foi catholique serait en crise ? Parce que les hommes qui la composent sont pécheurs. Tous les jours. Sans fin, et sans cesse. Ce pêché nourrit leur perfectibilité et leur conviction de tout faire pour aspirer à la sainteté, parce que les catholiques aspirent non pas à être des surhommes, mais à accéder à la promesse de Dieu. Les catholiques qui ne confessent plus leur foi n’ont plus grand-chose de catholique. Ils sont ouverts, humains, mais ont largué l’Eglise. D’eux même. L’Eglise n’est pas un régiment, elle rassemble des hommes de bonne volonté. Ce ne sont pas les hommes qui définissent l’Eglise, mais Dieu. En revanche Il leur a donné la liberté de la conduire à Lui. Ce qui en découle ne relève ni de la soumission, ni du libre arbitre, ni d’un seul Livre. S’il y a déjà quelque chose que l’Eglise n’est pas, ce sont ces poncifs que nous assènent les « experts » du catholicisme.

Peu importe que vous ne compreniez pas notre Doxa, ou dit autrement, peu importe votre inconscience, car la Grâce de Dieu n’est pas une affaire d’Homme. Peu importe que vous la railliez, la refusiez. L’athéisme et l’indifférence religieuse n’ont-ils pas secrété assez de catastrophes inhumaines pour que vous osiez encore accuser l’Eglise de ne pas accepter la modernité ? Où sont les Vincent de Paul de la modernité ? Qu’opposent les régimes athées en guise de gouvernance politique à des souverains chrétiens ? Vous ne comprenez pas, ne voulez pas comprendre. Le crépuscule de la Vie vous rendra raisonnables et vous comprendrez le sens du message catholique.

L’Eglise a une morale sexuelle périmée ? L’avortement n’est pas un crime contre les finances publiques, mais contre l’Amour, la seule chose où n’importe quel humain, non croyant, est confronté dans le bonheur le plus absolu à la grandeur du Dieu chrétien. Le Saint Père, comme Jean-Paul II avant lui, est inflexible. Tant de catholiques ne le sont plus… il est le vicaire du Christ, et admettre le contraire serait renier la foi en Christ vainqueur de la mort. Le Saint Père ne démissionne pas. Il ne tient pas son sacerdoce des hommes.

Tuer le plus petit, le plus faible, en son sein, c’est un progrès ? Considèrent-ils la vie comme une chimie biologique bestiale mélangée à 90% d’eau ? Là encore, quelle est l’âme de ces apôtres dits des Lumières ? Aucune Lumière là dedans. Tant que j’y suis, je ne résisterai pas au plaisir de faire savoir à mes concitoyens que le tarif IVG est un des seuls à avoir augmenté en 2009 pour les hôpitaux : tout va bien ? Tarification à l’activité et morale, qui peut se taire sans dénoncer la mise à mort de ceux qui portent la vie ?

Veut-on se représenter Dieu tel que le catholique le voit ? L’enfant qui sourit, à la naissance, à sa mère. Et l’on voudrait de l’Eglise qu’elle « évolue » ? Tuer l’enfant, sur choix arbitraire de sa mère ou sur pression de la famille ou de l’homme, ou par convention sociale, quel progrès, quelle liberté ! Jamais un catholique, jamais l’Eglise ne pourra quitter une attitude intransigeante.

La modernité ne tolère pas la différence ontologique. Bernanos était cinglant.

Le meilleur, Vatican II. Que ne fait-on pas dire de sottises à ces textes à commencer par le fait que ce concile aurait mis l’Homme au cœur de l’Eglise. Comment peut-on être convaincu par pareille ânerie ? Le Dieu que les catholiques vénèrent s’est fait homme, mort sur la croix pour les hommes. Le catholique ne vénère pas les hommes, il aspire à rapprocher l’humanité du Dieu dont la grandeur est de s’être fait si simple, si petit, si vulnérable. Croit-on qu’il ait fallu attendre Congar ou Varillon pour l’affirmer ? Ces noms sont de grands noms, mais leur enseignement a été perverti, déformé, travesti.  Jamais Vatican II n’a mis l’homme au cœur d’une tambouille mystico-païenne moderne. Vatican II et Vatican 666 ne le feront pas. La cause en est que le Christ l’a mis au cœur de la mission confiée à Pierre. Et cela est écrit…

La terrible crise est double : les Modernes (et quel dommage de voir Esprit y céder) voudraient qu’une Eglise catholique prospère soit le miroir de la puissance temporelle qu’elle fut. Nous avons renié et rejeté l’Eglise triomphante (et ses dégâts politiques) du XIXème siècle. Terminés les évêques à l’Assemblée, dans le bureau du Préfet et dans l’œuvre sociale du patron qui se rachetait une conduite parfois hypocritement. L’Eglise est humaine et veut convertir les cœurs. La crise n’est pas le reflet des divisions, du nombre de croyants par sondage, de la cohorte des nouveaux prêtres et des baptêmes chaque année. L’Eglise est catholica, universelle, parce que son message l’est : nous ne serions plus que deux, elle demeurerait prospère.

La crise, c’est l’hubris scientiste et post rationnel de l’athéisme qui a fabriqué tant de technique, tant de matériel, que l’homme occidental et notamment européen se découvre nu, dépourvu de tout, même de conscience parce qu’il ne sait plus à quoi se rattacher : le jugement sera terrible, le bienheureux père de Foucauld l’a dit, les Evangiles l’ont annoncé « Le fils de l’Homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? »[1]. Le psy, le toubib, le gourou, le sex partner, l’iPod…  que les gens qui parlent de crise de l’Eglise aillent à la rencontre des catholiques ; ils partagent les souffrances et les doutes de tout un chacun, mais ils ont Dieu, la famille, l’Amour. Ils l’ont comme Trésor non pas hérité, car la Foi catholique ne se transmet pas, mais comme fondement inaltérable de leurs Devoirs vis-à-vis de leurs frères et sœurs.

Le plus inexpliqué, le plus masqué, le plus craint, ce n’est pas la crise de l’Eglise en Europe, mais le fait qu’elle renaisse sous un format réduit, de combat, pour ne pas dire missionnaire, trempée dans une foi forte, et que tout cela n’était non seulement pas prévu par la génération de nos pères, mais que de surcroit nous le voulions. Combien de fois avons-nous pu dire que nous n’étions pas formatés, mais au contraire attachés à notre foi et que celle-ci est incompréhensible à ceux, évidemment majoritaires, que la Grâce n’a pas touchés ? L’Eglise, en effet, n’est présentée que comme une institution vieillissante, figée : l’Evangile est travaillée depuis 1500 ans, que les donneurs de leçons se rendent bien compte que le meilleur de l’Homme, celui qui pense, continue à les faire vivre…

Alors, quand on croise dix familles et 40 enfants à une sortie de messe, cela fait mal à la vieille Europe rabougrie, laïcarde, qui croyait avoir flingué l’Infâme… oui, pas mécontent de dire que parce que nous croyons en la Vie, nous croyons que le Christ vaincra. Présenté ainsi, c’est plus court, même si, à n’en pas douter, cela me fera passer pour un horrible catholique pas seulement messalisant (quelle expression ridicule, dit-on du musulman pratiquant qu’il est mosquisant ????) mais intégraliste !!!

Un livre écrit par un Pape n’est pas une conviction personnelle, mais un enseignement et un élément de la Foi. Un athée ne peut le comprendre. L’élaboration des textes du Magistère serait secrète ? Mais Rome ne commande pas aux évêques comme un général ! Là encore la Curie est confondue avec l’Empire romain ou l’Etat napoléonien. L’Eglise n’est pas une démocratie mais l’assemblée de ceux qui croient, et dont la Foi est le « certificat » : que vient faire la démocratie là dedans qui est un système de gouvernement ? N’ont-ils pas lu (dans les Evangiles) que l’Homme a été fait libre et égal, par Dieu ?[2]) Evidemment à ne lire que Golias, on risque de ne rien comprendre… opposer la foi du Christ et l’intégralisme ? Parce que la foi et l’Eglise seraient des systèmes totalitaires ? La liberté de penser existe dans l’Eglise.

Les signes cultuels de la civilisation catholiques, effectivement disparaissent. Pèlerinages, bannières mariales, divisions de servants de messe, pompe, … nous en reviendrons. Et ils reviendront. Il n’y a que les taupes qui ne voient pas, elles sont nombreuses, c’est vrai. Une messe moderne peut se célébrer partout, et sa simplicité dépouillée est une vivante image du Christ. Mais qui n’a pas vécu une adoration, assisté sincèrement à une messe tridentine a raté quelque chose de la Beauté catholique. Si un dernier signe devait être montré de la crise non pas de l’Eglise (dont la participation au Quattrocento devrait calmer les artistes pisse-vinaigre sortis de l’urinoir de Duchamps) mais de la Modernité, c’est bien justement le nihilisme sordide, abscond, inintelligible de l’art contemporain et de sa représentation du Beau. Lisez attentivement une encyclique d’un pape allemand, et vous y verrez une douceur, une beauté contemplative et simple de la sensibilité de l’Homme de Dieu au Beau qui est bien loin de la crise de conscience que l’on prête à l’Eglise.

Le catholicisme populaire ? La manifestation de l’Eglise rejetée : les belles âmes qui hier bouffaient du patronage, des contraintes dominicales imposées à la génération de 68, de l’Eglise des coutumes et des dévotions semi populeuses à chaque coin de rue ne veulent plus de l’Eglise qu’ils ont façonnée ? Les groupes de paroles, la psychologie collective de bazar les lassent ? Que serait leur Eglise populaire ? Celle qui est exportée par les Evangélistes américains ? Non merci. Celui de l’Action catholique, des missions que les évêques mirent en place pour enrayer la transformation en classe dangereuse des légions d’ouvriers qu’elle ne voulait pas voir passer au Marxisme. Dans sa forme la plus achevée, celle des Jeunesses, qui ne visaient pas seulement l’évangélisation, mais aussi l’adhésion à l’Eglise politique. Le résultat fut sublime, puisqu’ils furent communistes et catholiques… cherchez l’erreur…

Plaquer le populaire sur l’Eglise, c’est vouloir conditionner son audience, sa valeur par des critères de performance modernes qui sont ceux de la démocratie et de la politique, le nombre de divisions, comme dirait le maréchal camarade Staline. L’Eglise ne fut pas populaire, mais la France fut catholique. C’est fini. Dire que c’est une crise… la crise en démocratie a besoin de signes visibles : dans vingt ans à peine, et cela, nous, catholiques, le savons, le nombre de paroisses aura encore fondu. Des cités de 40 000 habitants n’auront plus qu’un prêtre et un seul clocher. Les campagnes n’auront plus que le blanc manteau d’Eglises vides. Le démocratisme de foire en accuse aujourd’hui Rome ou, suivant les cas, le « refus de la modernité ». Or l’effondrement spirituel européen en est la seule cause. La Franc-maçonnerie a gagné, un temps du moins : disparition de la scène publique des militaires et des curés. Ils rigoleront moins avec l’effondrement de la cléricature démocratique, l’affaissement moral des professeurs déjà criblés de flèches.

L’Eglise renaît, hors d’Europe. Elle renaîtra, bientôt, en Europe. Mais ses communautés actives seront semblables à la mission évangélisatrice, dépouillée de l’introspection mortifère développée depuis quarante années. Tant mieux.

*

Cet article d’Esprit est fouillé et sans raccourcis. Il est pourtant tout entier placé sous le sceau d’un déterminisme et d’un pessimisme que Lubac, esprit trempé, avait dénoncé comme étant une impasse pour des Lumières qui prétendent libérer l’Homme. Mais ce papier ne fait guère référence à l’apport de l’Eglise à la capacité de la civilisation européenne et la catastrophe que serait, pour employer un terme issu de la Guerre Froide, la « normalisation » de l’attitude de l’Eglise.

Par Corbulon • 14 oct, 2010 • Catégorie: Réflexion faite sur "le temps d'y penser"


[1] Luc, XVIII, 8.

[2] St Thomas d’Aquin, « L’Homme libre est celui qui s’appartient à soi même […] Ainsi quiconque agit spontanément agit librement […] Celui là donc qui évite le mal non parce que c’est un mal, mais en raison d’un précepte du Seigneur, n’est pas libre. […]Or c’est là ce qu’opère le Saint Esprit […] et de la sorte il est libre, non qu’il ne soit pas soumis à la loi divine, mais parce que son dynamisme intérieur le porte à faire ce que prescrit la loi divine ».

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