"La beauté sauvera le monde" (28/06/2011)

Nous sommes nombreux à nous agiter, sur ce qu'on appelle "la toile" pour y faire passer des messages susceptibles de contribuer au triomphe du bien sur le mal, de la beauté sur la laideur, du vrai sur le mensonge, etc. Et nous pensons que cela dépend de nous alors que ce que nous faisons est bien peu de choses et qu'en réalité la victoire est déjà remportée et que nous n'avons qu'à l'actualiser à travers nos actes et nos paroles. Il y a des perles qui ne doivent jamais quitter ni notre coeur, ni notre mémoire, comme cette parole de Celui qui justifie tous nos efforts : "Courage, j'ai vaincu le monde!". (Merci, Stéphanie!)

Sur le blog "d'un idiot attentif", nous redécouvrons un texte fondamental de Soljénitsyne commentant les mots fameux de Dostoievski sur la beauté; il est extrait du "Cri" (http://classiques.uqac.ca/contemporains/soljenitsyne_alex...); nous livrons cet extrait à votre lecture mais allez relire le texte dans son intégralité :

"Un jour, Dostoïevski a laissé échapper cette énigmatique remarque: «La beauté sauvera le monde». Qu'est-ce que cela veut dire? Pendant longtemps, j'ai pensé que ce n'étaient que des mots. Comment était-ce possible? Quand donc, au cours de notre sanglante Histoire, la beauté a-t-elle sauvé quiconque de quoi que ce soit? Ennobli, exalté, oui. Mais qui a été sauvé?

Il existe, toutefois, une certaine particularité dans l'essence même de la beauté et dans la nature même de l'art: la conviction profonde qu'entraîne une vraie oeuvre d'art est absolument irréfutable, et elle contraint même le coeur le plus hostile à se soumettre. On peut parfaitement composer un discours politique apparemment bien fait, écrire un article convaincant, concevoir un programme social ou un système philosophique, en partant d'une erreur ou d'un mensonge. Dans ce cas, ce qui est caché ou déformé n'apparaît pas immédiatement.

Un discours, un article ou un programme exactement contraire et un système philosophique construit d'une façon entièrement différente rallieront l'opposition. Et ils sont tout aussi bien construits, tout aussi convaincants. Ce qui explique à la fois la confiance et la défiance qu'ils provoquent.

Mais une oeuvre d'art porte en soi sa propre confirmation. Si la pensée est artificielle ou exagérée, elle ne supporte pas d'être portée en images. Tout s'écroule, semble pâle et terne, et ne convainc personne. En revanche, les oeuvres d'art qui ont cherché la vérité profonde et nous la présentent comme une force vivante s'emparent de nous et s'imposent à nous, et personne, jamais, même dans les âges à venir, ne pourra les réfuter.

Ainsi cette ancienne trinité que composent la vérité, la bonté et la beauté n'est peut-être pas simplement une formule vide et flétrie, comme nous le pensions aux jours de notre jeunesse présomptueuse et matérialiste. Si les cimes de ces trois arbres convergent, comme le soutiennent les humanistes, mais si les deux troncs trop ostensibles et trop droits que sont la vérité et la bonté sont écrasés, coupés, étouffés, alors peut-être surgira le fantastique, l'imprévisible, l'inattendu, et les branches de l'arbre de beauté perceront et s'épanouiront exactement au même endroit et rempliront ainsi la mission des trois à la fois.

Alors, la remarque de Dostoïevski «La beauté sauvera le monde» ne serait plus une phrase en l'air, mais une prophétie. Après tout, il est vrai qu'il eut des illuminations fantastiques. Et, dans ce cas, l'art, la littérature peuvent vraiment contribuer à sauver notre monde. C'est la compréhension qu'au cours des années j'ai pu acquérir en cette matière que je voudrais essayer de vous exposer aujourd'hui…"

 

 

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