Egypte: l’armée débordée par la révolution islamiste ? (24/11/2011)

tahrir-tantaoui-moubarak-egypte-442360-jpg_296534.jpgAlors que les manifestations continuent en Egypte pour exiger le départ du maréchal Tantaoui, chef du Conseil suprême des forcées armées, et que le nombre de morts ne cesse d'augmenter à quelques jours des premières élections “libres” depuis 30 ans, Marion Touboul,  partie à la rencontre des Coptes, rapporte pour le magazine “La Vie” des instantanés qui font craindre le pire.

Extraits:

“Collées aux arbres, suspendues maladroitement aux balcons ou placardées au dos des voitures, les affiches électorales ont inondé les rues du Caire. Et des terrasses des cafés jusqu’à l’intérieur des maisons, elles alimentent des débats acharnés entre Égyptiens qui redécouvrent la liberté d’expression après 30 ans d’oppression. À partir du lundi 28 novembre et jusqu’à fin décembre, ils devraient élire, en trois étapes, les 445 députés de la future assemblée égyptienne, qui aura la lourde tâche de rédiger la nouvelle Constitution du pays. Parmi les 15 000 candidats, des libéraux, des socialistes, des communistes mais aussi des salafistes.

Les Frères musulmans, réunis au sein du parti Justice et liberté, sont d’ores et déjà donnés grands vainqueurs. Ils devraient rafler un tiers des sièges du Parlement. Opprimés, torturés, emprisonnés sous l’ancien régime, ils sont considérés comme de véritables héros par les Égyptiens les plus démunis qui doivent leur survie aux nombreux services (hôpitaux, écoles…) qui dépendent de la confrérie. Mais leur programme, basé sur la pratique rigoriste de l’islam à travers le respect de la charia, la loi islamique, terrifie la minorité copte, qui représente environ 12 % de la population, soit de 6 millions à 10 millions de personnes. Nombre de ces chrétiens, dont 93 000 auraient déjà émigré, selon la Fédération égyptienne des droits de l’homme, vivent cette période électorale comme on se prépare à un séisme.


À Ezbet el-Rafael, un village à cinq heures de route, au sud du Caire, (…)le père Benyamin, la trentaine, en charge des chrétiens du village, se bat pour que la tempête islamiste soit évitée. Pour prouver que tout est possible à force de volonté, il indique de l’index son église, sa plus grande fierté. « Il ne lui manque que ses papiers officiels ! », lance-t-il énergiquement, faisant valser sa longue toge noire frappée de deux croix ­jaunes. Derrière lui, l’édifice impressionne par sa discrétion.

De l’extérieur, rien ne laisse penser qu’il s’agit d’une église. Quand il est arrivé ici, en 2003, il y avait des dizaines de mosquées, mais pas un lieu de culte pour les Coptes, faute de permission pour en ériger un. « Mais 300 familles chrétiennes, ça compte tout de même ! » Une nuit, dans ses prières, il reçoit un appel pour construire une église malgré le refus des autorités. Sitôt le chantier débuté, commence le calvaire pour le prêtre : les interminables interrogatoires dans les locaux du commissariat d’Assiout, la ville la plus proche, les menaces de mort, l’envoi des cinq policiers postés jour et nuit devant le chantier pour éviter l’édification de l’église (…)

Le 9 octobre à Marinab, une petite ville dans la région d’Assouan. les assaillants, des sala­fistes, ont attaqué le lieu de culte à coups de cocktails Molotov. La colère des Coptes a soufflé jusqu’au Caire, où des centaines d’entre eux ont marché jusqu’à Maspero, les locaux de la télévision publique, leur point de repère. Le rassemblement pacifique se termine en carnage : 25 manifestants, selon le bilan officiel, meurent sous les balles et les coups des militaires – qui administrent le pays depuis la chute de Moubarak – ainsi que des baltaguis, hommes de main payés pour semer le trouble.

 “Qu’est-ce que la révolution nous a apporté ? La dictature protégeait un minimum les minorités, maintenant, c’est le chaos, les fanatiques n’ont plus personne à craindre », s’emporte Emad, un père de famille désabusé qui trouve du réconfort en passant son temps libre à servir sa paroisse.

(…). Abanob, 15 ans, scolarisé au collège voisin, confie : « Nos professeurs nous demandent d’apprendre des passages entiers du Coran, comme s’il s’agissait de poésies ! Il faut ensuite les réciter devant toute la classe. Si on refuse, ils nous punissent. Il y a aussi les cours de religion. Dans mon école, ça se limite aux leçons sur le Coran. Ils pourraient nous séparer, mais ils ne le font pas. Quand j’étais plus jeune, j’avais des amis musulmans mais, plus j’ai grandi, plus mes rapports avec eux sont devenus diffi­ciles. Maintenant, on se contente de se dire bonjour de loin. »

(…) A al-Qosseya, une ville de 30 000 habitants, dont 10 000 Coptes à 10 km d’Ezbet el-Rafael, l’ évêché cerné par une trentaine de mosquées, pour la plupart flambant neuves, et une demi-douzaine d’autres en construction. L’une d’entre elles a dirigé son haut-parleur directement au niveau de la chambre de l’évêque. Lors des cinq prières quotidiennes, les « allah akbar » raisonnent dans le bâtiment excédant les prêtres contraints de communiquer par gestes. Ce vacarme n’est pas nouveau, il joue avec leurs nerfs depuis une dizaine d’années. « Entre eux et nous, c’est la guerre froide : on reste chacun poli, car on ne veut pas s’affronter de face, mais on n’en pense pas moins. Surtout maintenant qu’ils savent qu’ils ont le vent en poupe, ils n’ont pas de scrupules à nous inonder de leurs prières ou même à insulter notre évêque lors des prêches le vendredi », s’exclame père Luc, devenu prêtre pour soutenir sa communauté en souffrance.

(…) On craint une attaque », prévient père Benyamin. De nouvelles règles visiblement difficiles à faire respecter. La cour de l’évêché, comme l’église attenante, fourmille, de l’aube jusqu’au coucher du soleil, de familles dans leurs plus beaux habits. L’endroit, qui permet aux Coptes de sortir de leur isolement, est un refuge salutaire en particulier pour les femmes. Parmi la foule, Abanob, un collégien, est là avec sa mère. Ils vivent dans un petit apparemment accolé à l’église. Devant un verre de soda, Manale, sa mère, s’abandonne : « Avant la révolution, je n’avais jamais entendu le mot salafiste. Maintenant, ils sont partout dans les rues avec leur barbe et leur visage fermé. Quand on passe à côté d’eux, ils disent en arabe : “Mon Dieu, aie pitié pour elle.” Tout ça parce que je ne suis pas voilée ! » (…)

Manale n’ira pas voter aux élections. « À quoi ça sert ? Elles seront truquées, une nouvelle fois. » Pas facile d’effacer d’un revers de la main 30 ans d’oppression. La participation aux élections, c’est le combat de père Benyamin et de son ami le père Luc. Ils soutiennent le bloc égyptien, une coalition de socialistes, communismes, libéraux, chrétiens. Leur programme ? Inexistant, comme la plupart des partis. Leur force se trouve dans leur ferme volonté de faire front contre les Frères musulmans et les salafistes. Père Benyamin analyse : « Il faut nous unir à tous les musulmans modérés, les vrais Égyptiens. Si nous votons tous, les extrémistes n’auront aucune chance. »

Le reportage complet ici: Les Coptes inquiets face à la montée des islamistes

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