La morale laïque n'est pas une morale universelle (22/09/2012)

Sous le titre "Une morale tout à fait immorale", Chantal Delsol critique le projet du ministre français Peillon d'imposer un cours de morale laïque dans les écoles de l'Hexagone. Les cours de morale laïque qui existent chez nous depuis belle lurette illustrent les propos de l'auteure.

On ne peut qu’approuver Monsieur Peillon quand il regrette l’ambiance chaotique de nos salles de classe, l’indiscipline avérée et les injures sexistes et racistes qui agrémentent nos préaux. Et on peut se féliciter que l’école à cet égard décide de venir au secours des familles trop souvent déficientes. Le ministre nous le promet : l’école de la République n’apportera que la morale universelle, à laquelle tout le monde adhère…

Bien entendu une morale universelle existe, ce qui d’ailleurs nous rassure quant à l’unité de l’espèce humaine ! Toutes les cultures pensent que la paix est préférable à la guerre, l’amour à la haine, et tous les hommes de la terre conseillent de sauver le noyé plutôt que de lui enfoncer la tête sous l’eau. Pourtant la morale universelle ne saurait pas s’enseigner telle quelle, car elle est beaucoup trop générale et demande à être interprétée, ce qui explique la diversité des cultures.

Prenons l’interdit du meurtre, qui représente le premier de ces principes universels. Dans chaque culture il souffre des exceptions : mais ce ne sont pas les mêmes ! La plupart des cultures admettent que l’on tue en temps de guerre, pour défendre les communautés d’appartenance. Nombre de cultures légitiment la peine de mort pour des crimes particulièrement odieux. Notre morale laïque n’accepte pas la peine de mort et n’est pas loin de considérer le soldat comme un meurtrier. Mais elle légitime la mise à mort de l’embryon, et bientôt celle du mourant qui demande d’en finir. Prenons l’égalité des sexes, dont parle le ministre, et dont il voudrait à juste titre que cela soit enseigné à l’école. Il faudrait être carrément stupide pour croire qu’il s’agit d’un principe universel ! Ce principe n’a cours que dans notre sphère occidentale, et encore depuis un laps de temps très court. (Il a fallu attendre le XVII° siècle pour que le tchèque Comenius émette l’idée originale selon laquelle les filles étaient capables de recevoir une instruction scolaire). Monsieur Peillon croit-il que nos élèves de familles musulmanes vont entendre cela comme un principe universel ? Que la France ait l’ambition de les acculturer, voilà plutôt la vérité, qu’il faudrait afficher honnêtement. Autrement dit, la morale laïque n’est pas du tout universelle, sinon dans ses principes premiers trop abstraits pour être enseignés seuls, mais elle est particulière, comme les autres. Et pour reprendre les expressions du ministre, la "morale commune" qui "s’impose à la diversité des confessions religieuses" et qui ne blesse "aucune conscience, aucun engagement privé, ni d’ordre religieux, ni d’ordre politique", est un vœu pieux, un leurre, une incroyable prétention, finalement une duperie. Impossible d’ailleurs que Monsieur Peillon, qui connaît la philosophie, puisse y croire une seconde : il doit plutôt nous prendre pour des idiots. Il a raison de dire que les enfants doivent réfléchir à ce qu’est "une vie heureuse, une vie bonne". Mais on ne nous fera pas croire que la république laïque a découvert LA vie bonne à laquelle tout le monde souscrit instinctivement.

En réalité, le cours de morale dans les écoles publiques sera un catéchisme où l’on enseignera la bien-pensance du moment, avec intolérance, et sous le manteau d’une morale universelle – ce qui est particulièrement odieux. D’ailleurs la contrainte est déjà annoncée, puisque l’expression "réarmement moral" est lâchée, expression que les socialistes considèrent comme nauséabonde si elle est proférée par la droite, mais qui devient dans leur bouche un signe de vertu. On nous dit, donc, que les enseignants seront réarmés d’abord, pour pouvoir réarmer les enfants. Tous ensemble chez Big Brother.

L’illusion de la morale universelle réalisée dans une culture (la culture laïque), correspond avec l’illusion de la neutralité culturelle, qui seule permettrait l’esprit critique. C’est pourquoi Monsieur Peillon associe l’apprentissage de la liberté de conscience à la nécessité "d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel". Quel poncif ! L’enfant neutre serait vide. La liberté de choix elle-même s’appuie sur une culture, en l’occurrence une culture critique (la nôtre) et non sur le néant. La colombe de Kant, dont certains s’imaginent qu’elle volerait mieux dans le vide, sans l’appui de l’air tomberait comme une pierre. L’enfant ne peut grandir qu’au sein d’une culture particulière qui dans le meilleur des cas l’ouvre à l’universel. L’arracher à ses particularités, ce n’est pas le libérer, c’est en faire un zombi.

C’est pourquoi la question de la morale à l’école, question réelle et aujourd’hui cruciale, plaide pour l’autonomie des projets d’établissements. Que chaque école enseigne la morale choisie par son projet, auquel les familles adhérent. La "morale laïque" est une tromperie, parce qu’elle apporte une morale particulière sous couvert de morale universelle. En cela, son discours est tout à fait immoral.
Paru dans Le Figaro, 7 septembre 2012 - via Magistro

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