Comment combattre le narcissisme liturgique ? (27/04/2013)

Lu sur le site « Pro Liturgia » :

Dans son Epître aux Corinthiens, Saint Paul déclare : « Ne savez-vous pas qu’un peu de levain fait lever la pâte tout entière ? » (1 Cor. 5, 6) Appliquée à la liturgie, cette question permet de comprendre qu’un célébrant peut être, lorsqu’il agit comme un levain, celui qui fait fermenter la foi de toute une assistance, de toute une communauté paroissiale.

Mais comment un célébrant peut-il devenir comme un levain dans la pâte ? La première chose qu’il doit garder présente à l’esprit, c’est que lorsqu’il célèbre la Messe, il agit « in persona Christi » : il doit donc avoir toujours conscience qu’il ne fait rien de son propre chef.  Certes, Jésus-Christ, seul véritable prêtre, ne peut être rendu présent que grâce à un ministre ordonné : mais ce ministre doit toujours avoir la parole de S. Jean-Baptiste présente à l’esprit : « Il faut qu’il croisse et que je diminue » (Jn, 3, 30).

Or il y a, chez beaucoup de personnes - et le prêtre est d’abord une personne - une entrave à cette nécessaire « diminution de soi » sans laquelle l’autre n’a plus aucune place, n’a plus « sa » place : c’est le narcissisme. Le Dr Richard Fitzgibbons, psychiatre et consultant auprès de la Congrégation pour le Clergé, déclare, en se basant sur 35 années d’expériences médicales, a constaté que le narcissisme - un trouble de la personnalité qui se manifeste par un insatiable besoin d’être admiré - était aussi présent dans le clergé. De nombreux prêtres, lorsqu’ils célèbrent la liturgie, auront toujours tendance à faire davantage porter l’attention des fidèles sur eux que sur la personne du Christ.

Le narcissisme - poursuit le Dr Fitzgibbons - peut pousser des jeunes dont l’équilibre affectif est mal assuré vers le sacerdoce dans la mesure où ils imaginent qu’une fois prêtres, la liturgie leur permettra de répondre à leurs besoins de se montrer, de sa faire valoir.  Le prêtre ayant des tendances narcissiques éprouvera toujours des difficultés à faire passer le Christ avant sa propre personne lorsqu’il célèbrera la liturgie. Et si, de surcroît, l’identité ou l’orientation affective de ce prêtre est mal assurée, il éprouvera souvent des difficultés pour s’investir pleinement dans une fonction sacerdotale faisant de lui un époux de l’Eglise et un père spirituel capable, à la Messe, de diriger les fidèles uniquement vers la personne du Christ.

Le Dr. Fitzgibbons laisse aussi entendre que l’instabilité inhérente aux personnes narcissiques les prédispose à vouloir se sentir toujours approuvés par les fidèles laïcs lorsqu’ils célèbrent la liturgie ; ils ont en eux ce besoin impérieux d’attirer l’attention sur eux-mêmes en méprisant toute forme d’autorité, toute règle établie qui les obligerait à faire, en liturgie, autrement que comme ils ont envie de faire pour s’affirmer. Le célébrant narcissique considèrera toujours que la liturgie est à son service et que, partant de là, elle doit être « adaptée » et non « respectée ». Car pour lui, toute célébration est moins un moyen de donner aux fidèles ce dont ils ont besoin sur le plan spirituel qu’une occasion de se mettre en valeur en se faisant approuver et aduler. La quête de l’autosatisfaction chez de tels prêtres est aux antipodes de l’esprit de la liturgie : le narcissique aura toujours tendance à considérer que « sa » propre satisfaction - qu’il imagine être identique à celle des fidèles - est le seul but à atteindre.

 

En liturgie, le prêtre narcissique cherchera avant tout à se faire plaisir et se sentira gravement blessé s’il constate que « son » plaisir n’est pas partagé par les fidèles obligés de suivre « sa » façon de célébrer. D’où, chez de tels prêtres, un besoin constant de balayer l’assistance du regard comme pour quêter son approbation ; l’autel, le sanctuaire... et même l’Hostie passent au second plan.

Avant Vatican II, la messe était célébrée en latin par un prêtre et une assemblée tournés ensemble vers l’Orient, même si cet « Orient » n’était parfois que symbolique. Ainsi « orientée », la personnalité du prêtre et sa sensibilité sous-jacente n’avaient que peu d’importance dans la célébration liturgique ; il était admis que le prêtre doive s’effacer pour laisser toute la place au Christ se révélant à travers les rites. Avec le nouvel « Ordo Missae », l’habitude a été prise de célébrer « face au peuple » et en employant les langues courantes ; cette pratique a nécessairement permis de révéler la personnalité narcissique et les composantes affectives de nombreux célébrants. Attentif à l’impact que pourra avoir son comportement liturgique sur une assemblée de fidèles, le célébrant narcissique ressentira presque inévitablement un besoin impérieux de trouver dans ses propres ressources les moyens de transformer son rôle à l’autel en un « show » qu’il voudra convaincant. En considérant que le Concile n’a jamais ni obligé à célébrer « face au peuple », ni encouragé à construire des mini-autels amovibles, il devient légitime de penser que des ordres ont été donnés par des responsables diocésains eux-mêmes narcissiques pour que soit rapidement adoptée la célébration « face au peuple » permettant d’instrumentaliser la liturgie en faisant du célébrant l’ « élément » central de la liturgie. Ajoutons que les récentes découvertes de la neurobiologie nous apprennent qu’un célébrant narcissique qui instrumentalise la liturgie à des fins personnelles peut avoir des influences catastrophiques sur une assemblée.

Pourquoi ? Commençons par une histoire vraie : un groupe de savants est en train d’essayer de comprendre le fonctionnement du cerveau. Pour ce faire, il a branché des électrodes sur le crâne d’un singe ; et ces électrodes envoient des signaux à un ordinateur qui permet de visualiser sur un écran les zones du cerveau qui sont activées lorsque l’animal fait tel geste précis. Il est l’heure de casser la croûte. Nos savants se sont fait livrer une pizza. Soudain, tandis qu’ils prennent chacun une part, ils remarquent que l’ordinateur transmet des images du cerveau du singe, tandis que l’animal ne bouge pas. L’expérience démontre que dans la mesure où l’animal a reconnu le geste que faisaient les hommes, son cerveau s’est activé comme s’il faisait lui-même le geste. Une autre expérience permet d’arriver à des conclusions identiques. Un pianiste interprète un concerto classique. On lui a placé des électrodes sur la tête et l’on observe quelles sont les zones de son cerveau qui sont activées pendant qu’il joue. Dans la salle se trouvent deux auditeurs auxquels on a aussi mis des électrodes. L’un des auditeurs est lui-même pianiste : curieusement, les mêmes zones de son cerveau s’activent alors qu’il ne fait qu’écouter. L’autre auditeur n’est pas pianiste ; il apprécie la musique mais les zones qui s’activent dans son cerveau ne correspondent pas du tout à celles qui sont activées dans le cerveau des deux pianistes, l’un jouant, l’autre écoutant. Les neurobiologistes découvrent que certains neurones du cerveau jouent le rôle de « miroirs ». Ils les appellent d’ailleurs des « neurones miroirs » sans trop savoir où ils se situent exactement. Ces neurones permettent d’entrer en empathie avec une personne, de partager avec elle une expérience commune.

Ce fonctionnement de notre cerveau permet de comprendre plusieurs choses : Premièrement, qu’un prêtre narcissique finira par n’attirer à lui que des fidèles eux-mêmes plus ou moins narcissiques. Qui n’a pas constaté que ce sont généralement les célébrants aimant se mettre en valeur qui s’entourent le plus d’ « équipes liturgiques » composées de fidèles qui n’occupent les sanctuaires que pour se faire voir ? Qui se ressemble s’assemble, dit-on... Deuxièmement, que si au cours d’une « messe de jeunes » les « animateurs » et « animatrices » sont sans cesse en train de remuer, de s’activer, de s’occuper à « faire quelque chose » sous prétexte de rendre la célébration attractive, les jeunes finiront par être eux-mêmes agités et ne plus être capables d’un minimum d’attention. Ils se caleront sur l’image qu’ils recevront des adultes qu’ils auront devant eux et finiront par être aussi remuant qu’eux jusqu’au jour où, lassés de ne pas trouver à la messe ce qu’ils viennent y chercher, ils refuseront d’aller à l’église. Troisièmement, que des célébrations qui ne respectent pas le rituel, qui sont changeantes et sans cesse recomposées, ne peuvent laisser aucune trace dans la mémoire des fidèles, les « neurones miroirs » ne pouvant pas jouer leur rôle qui est de permettre au fidèle de se sentir « partie prenante » de l’action du célébrant. Fort heureusement, tous les prêtres qui célèbrent « face au peuple » ne sont pas des narcissiques qui tiennent absolument à utiliser la liturgie de l’Eglise à des fins personnelles. Dans la mesure où ils respectent l’ « Ordo Missae » et se concentrent sur l’autel, ils ont tout simplement suivi un mouvement auquel il était difficile d’échapper. On peut cependant remarquer que Benoît XVI a rappelé que la célébration « versus Orientem » était une expression fondamentale de la vraie nature de la liturgie, laquelle doit être absolument fidèle à ce que transmet l’Eglise. Il n’est donc pas interdit de penser que la célébration « face à l’Orient » pourrait être un moyen d’aider certains prêtres à retrouver, à travers l’affirmation de leur équilibre affectif, le vrai sens du sacerdoce et aussi d’aider les fidèles à redécouvrir l’authentique nature de la liturgie.

Ici : LE NARCISSISME ET LES « NEURONES MIROIRS ».

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