Les doutes prudents de Vittorio Messori concernant la ligne du pontificat en cours (05/01/2015)

De Vittorio Messori dans le CORRIERE DELLA SERA du 24 décembre dernier, ces réticences exprimées avec prudence et respect. Cela correspond assez à notre état d'esprit comme nous l'avions signalé précédemment.

LES DOUTES SUR LA LIGNE DU PAPE FRANÇOIS

Pour un catholique non progressiste, Bergoglio est imprévisible. Il suscite un large intérêt, mais dans quelle mesure cet intérêt est-il sincère?

(traduction du site "Benoît-et-moi")

Je pense qu'il est honnête de l'admettre d'emblée: abusant, peut-être, de l'espace qui m'est alloué, ce que je propose ici, plus qu'un article, est une réflexion personnelle. Plutôt, une sorte de confession que j'aurais volontiers reportée, si on ne me l'avait pas demandée. Mais oui, reportée parce que mon évaluation (et pas seulement la mienne) de ce pontificat oscille continuellement entre l'adhésion et la perplexité, c'est un jugement variable selon les moments, les occasions, les thèmes. Le pape n'était pas imprévu: pour ce que cela vaut, j'étais parmi ceux qui s'attendaient à un Sud-Américain et à un homme de pastorale, d'expérience quotidienne de gouvernement, comme pour équilibrer un admirable professeur, un théologien trop raffiné pour certains palais, comme le bien-aimé Joseph Ratzinger. Un pape pas imprévu, donc, mais qui tout de suite, dès ce tout premier «buona sera», s'est révélé imprévisible, au point de faire progressivement changer d'avis même certains cardinaux qui avaient été parmi ses électeurs.

Une imprévisibilité qui continue, troublant la tranquillité du catholique moyen, habitué à éviter de penser par lui-même en ce qui concerne la foi et la morale, et invité à simplement «suivre le pape».

Certes, mais quel Pape? 

Celui de certaines homélies matinales à Santa Marta, des sermons de curé à l'ancienne, avec de bons conseils et de sages dictons, et même avec des avertissements insistants à ne pas tomber dans les pièges que nous tend le diable? Ou celui qui téléphone à Giacinto Marco Pannella (voir par exemple ici), engagé dans un énième jeûne sans danger, et lui souhaitant «bon travail», quand pendant des décennies, le «travail» du leader radical a consisté et consiste à prêcher que la vraie charité c'est de se battre pour le divorce, l'avortement, l'euthanasie, l'homosexualité pour tous, la théorie du genre et ainsi de suite? 

Le Pape qui, dans le discours de ces jours-ci à la Curie romaine, s'est référé avec conviction à Pie XII (mais, en vérité, à Saint Paul lui-même) définissant l'Eglise comme «Corps mystique du Christ»? Ou celui qui, dans la première interview avec Eugenio Scalfari, a ridiculisé ceux qui pensaient que «Dieu est catholique», comme si l'Ecclesia, une, sainte, apostolique, romaine était une option, un accessoire à accrocher ou non, en fonction de son goût personnel, à la Trinité divine?

Le Pape Argentin, conscient par expérience directe, du drame de l'Amérique latine qui est en passe de devenir un continent ex-catholique, avec le passage en masse de ces peuples au protestantisme pentecôtiste? Ou le pape qui prend l'avion pour embrasser et souhaiter un bon succès à un ami très cher, un pasteur précisément d'une des communautés qui vident la catholique, justement avec le prosélytisme qu'il condamne durement chez les siens?

On pourrait continuer, bien sûr, avec ces aspects qui semblent - et peut-être sont effectivement - contradictoires. On pourrait, mais ce ne serait pas correct pour un croyant. Ce dernier sait qu'on ne regarde pas un pontife comme un président élu de la République ou comme un roi, héritier fortuit d'un autre roi. Bien sûr, lors du conclave, ces instruments de l'Esprit Saint que sont, selon la foi, les cardinaux électeurs partagent les limites, les erreurs, peut-être les péchés qui marquent l'humanité toute entière. Mais la tête (le chef) unique et vraie de l'Eglise est ce Christ tout-puissant et omniscient, qui sait mieux que nous quel est le meilleur choix pour celui qui sera pour un temps son représentant terrestre. Un choix qui peut sembler déconcertant pour les contemporains dont la vue est limitée mais qui ensuite, dans la perspective historique, révèle ses raisons.

Quiconque connaît vraiment l'histoire est surpris et reste songeur en découvrant que - dans la perspective millénaire qui est celle de la Catholica - chaque pape, qu'il en soit conscient ou non, a joué son rôle approprié et qui, à la fin, s'est révélé nécessaire. 

C'est précisément à cause de cette conscience que j'ai choisi, en ce qui me concerne, d'observer, écouter, réfléchir, sans me hasarder dans des opinions intempestives sinon téméraires. En me référant à une question qui n'a été que trop mentionnée hors contexte: «Qui suis-je pour juger?». Moi qui - comme tous les autres, à l'exception d'un seul - ne bénéficie certes pas du «charisme pontifical», l'aide promise par le Paraclet. Et à ceux qui seraient tentés de juger, l'approbation pleine et entière, plusieurs fois répétée - verbalement et par écrit - de l'activité de François de la part de ce «Pape émérite» pourtant si différent par le style, par la formation, et même par le programme - cette approbation ne dit-elle rien?

Elle est terrible la responsabilité de celui qui, aujourd'hui, est appelé à répondre à la question: «Comment annoncer l'Evangile aux contemporains? Comment montrer que le Christ n'est pas un fantasme décoloré et passé, mais le visage humain de ce Dieu créateur et sauveur qui peut et veut donner à tous un sens à la vie et à la mort?». Nombreuses sont les réponses, souvent contradictoires.

Pour le peu que cela compte, après des décennies d'expérience ecclésiale, moi aussi j'aurais les miennes, de réponses. Je dis bien «j'aurais», le conditionnel est de rigueur parce que rien ni personne ne m'assure avoir entrevu la voie appropriée. Ne risquerais-je pas d'être comme l'aveugle de l'Évangile, celui qui veut guider d'autres aveugles, finissant tous dans la fosse? Ainsi, certains choix pastoraux de l'«évêque de Rome», comme il préfère qu'on l'appelle, me convainquent; mais d'autres me laisseraient perplexe, me sembleraient peu opportuns, peut-être suspects d'un populisme capable d'obtenir un intérêt aussi vaste que superficiel et éphémère. J'aurais à observer certaines choses à propos de priorités et de contenus, dans l'espoir d'un apostolat plus fécond. 

J'aurais, je penserais: au conditionnel, je le répète, comme l'exige une perspective de foi où n'importe qui, même un laïque (le code canonique le rappelle) peut exprimer sa pensée, à condition qu'elle soit calme et motivée, sur les tactiques de l'évangélisation. Laissant toutefois à l'homme qui est sorti vêtu de blanc du Conclave la stratégie générale et, surtout, la garde du «depositum fidei». 

Dans tous les cas, n'oubliant pas ce que François lui-même a rappelé précisément dans le dur discours à sa Curie: il est facile, a-t-il dit, de critiquer les prêtres, mais combien prient pour eux? Voulant aussi rappeler que lui, sur la Terre, est le «premier» parmi les prêtres. Et, par conséquent, demandant à ceux qui critiquent, ces prières dont le monde rit, mais qui conduisent, en secret, le sort de l'Eglise et du monde entier.

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