L'accueil en Belgique de 244 Syriens chrétiens et les questions que cela soulève (11/07/2015)

De Caroline Hayek sur le site de "L'Orient Le jour" :

Pourquoi l’exfiltration secrète de 244 chrétiens d’Alep par Bruxelles via Beyrouth sème-t-elle le doute ?

L'ambassadeur de Belgique au Liban lève le voile sur l'opération de « sauvetage » d'Aleppins ; un habitant s'interroge sur ces « mystérieux départs ».

Le gouvernement belge a annoncé avoir secrètement exfiltré 244 chrétiens d'Alep ces deux derniers mois, et déjà les premières interrogations fusent dans cette ville. Mais qui sont ces heureux élus qui se sont vu octroyer un passeport pour une nouvelle vie ? Qui les a aidés ? Pourquoi leur départ précipité laisse planer le doute au sein de la communauté chrétienne d'Alep ?

Alors que, parmi les pays membres de l'Union européenne, la question des ressortissants issus de zones de guerre, et plus précisément des réfugiés syriens, est plus que jamais une épine dans le pied, l'opération humanitaire des Belges apparaît comme un coup médiatique bien orchestré.

À l'origine de cette intervention ciblée, 25 personnes issues de la société civile – peu enclines à communiquer par refus de publicité ou craignant pour leur sécurité – et mobilisées par un groupe de réflexion chrétien, lui aussi très discret, du nom de Logia. Le gouvernement belge a aussitôt approuvé l'opération proposée par ce groupe, notamment le secrétaire d'État à l'Asile et la Migration, Theo Francken, dont la politique ferme en matière d'immigration détonne quelque peu avec cette initiative.

La divulgation de ces « exfiltrations secrètes » des Syriens chrétiens sonne comme une « opération de relations publiques » de la part d'un gouvernement critiqué pour son peu d'engagement en faveur des réfugiés, selon certains observateurs, d'après des propos relayés par le journal Le Monde en date du jeudi 9 juillet.

Lors de la conférence de presse mercredi dernier en présence du ministre des Affaires étrangères belge Didier Reynders et de Theo Francken, l'un des instigateurs de cette opération, l'ancien diplomate Mark Geleyn, a affirmé que le groupe dont il est issu, de « toutes obédiences » et représentant « toutes les communautés du pays », s'était donné pour mission de « sauver » ces chrétiens aleppins car « soumis à la terreur de groupes comme le Front al-Nosra (la branche syrienne d'el-Qaëda) et le groupe État islamique (EI) en raison de leurs convictions religieuses ».

Depuis le début du conflit, près de 5 500 réfugiés syriens de toutes confessions ont été accueillis en Belgique. Si chaque pays semble prêcher pour sa paroisse – comme cela a été le cas pour la toute petite communauté juive de Syrie, qui majoritairement a rejoint Israël ou d'autres pays –, le fait que le gouvernement belge (de droite) ait soutenu l'initiative en faveur de chrétiens résonne fortement comme un acte politique.

Pas de discrimination

« Une chose est sûre, c'est que ce n'est pas de la discrimination confessionnelle. C'est certes la minorité la plus en danger, mais ils n'ont pas été choisis parce que ce sont des chrétiens, mais uniquement parce qu'ils sont les plus menacés », prévient immédiatement l'ambassadeur de Belgique à Beyrouth, Alex Lenaerts, contacté par L'Orient-Le Jour.

Grâce à l'intervention de l'ambassade belge à Beyrouth, sept groupes d'Aleppins chrétiens, « composés de grecs-catholiques, de grecs-orthodoxes, d'arméniens et de quelques maronites », aux dires de l'ambassadeur belge, ont pu gagner une terre d'asile européenne en l'espace de deux mois. Or, selon le quotidien De Standaard, un responsable de la communauté maronite à Alep a affirmé que ces familles sont toutes membres de la communauté maronite d'Alep, et que « d'autres chrétiens répondant aux critères fixés par la Belgique n'ont pas eu leur chance ».

Dans Alep, en proie au chaos, les rumeurs n'ont pas tardé à se propager. « Quitter Alep en 3, 4 jours de cette manière, comment est-ce possible ? Les gens qui les ont aidés doivent être très puissants. Et sur base de quel véritable " critère " ont-ils été choisis ? », s'interroge Élias*, un père de famille chrétien habitant à Alep, contacté par L'Orient-Le Jour, et qui soupçonne même des francs-maçons d'être à l'origine de cette fuite. Toujours selon lui et les bruits qui courent, un prêtre aleppin résidant en Belgique et disposant d'un vaste réseau de relations a pu monter cette opération inédite. Au vu du mystère qui plane sur ces départs, d'autres ont évoqué le fait que ces chrétiens seraient en réalité des témoins de Jéhovah, communauté religieuse formellement interdite en Syrie. Ce à quoi l'ambassadeur de Belgique a répondu par la négative, assurant que ces réfugiés chrétiens ne sont « pas du tout » de cette mouvance religieuse.

Priorité aux « plus fragiles »

« Je peux vous dire qu'ici on s'interroge sur ces départs précipités, un peu louches », nous rapporte Élias. Selon cette source, plusieurs familles ont été stupéfaites de voir que certains de leurs membres s'étaient enfuis sans faire leurs adieux. « Quelqu'un que je connais a su que son frère se trouvait en Belgique après avoir vu sa photo sur Facebook. Quand il lui a demandé comment il a pu partir précipitamment et obtenir un visa, celui-ci a rétorqué que le déroulement devait rester " top secret ". On leur a seulement dit de préparer leurs affaires et de se rendre à Beyrouth, où ils seraient pris en charge et envoyés en Belgique », raconte Élias.

Selon l'ambassadeur belge à Beyrouth, la priorité a été donnée aux « plus fragiles », près de 70 familles avec enfants, ainsi que des personnes âgées, qui auraient elles-mêmes sollicité des Syriens résidant en Belgique, ainsi que des Belges de l'association de toutes confessions, soutenus par Logia. Après analyse approfondie des dossiers par les services de renseignements belges, le voyage de ces « élus » a pu être organisé avec la collaboration de l'ambassade de Belgique à Beyrouth, qui n'a pas manqué de rassurer les autorités libanaises sur le fait qu'ils seraient rapidement pris en charge. Après avoir franchi la frontière, les Aleppins ont été reçus par M. Lenaerts, qui a tenu à les tranquilliser et les rassurer de son soutien. Un visa leur a été alors accordé avant d'embarquer pour Bruxelles, loin, très loin de leur ancienne vie.

* Le prénom a été modifié pour raisons de sécurité.

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