Des milliers de jeunes vont surfer sur les réseaux et s'identifier à leurs pairs qui mettent l'Europe au tapis (22/03/2016)

De LaLibre.be (Laurence Bertels) :

"Les jeunes qui vont voir sur Internet que la Belgique est au tapis vont être encore plus motivés"

La fascination des jeunes va encore s'accroître suite aux attentats de Bruxelles selon le neuropsychiatre Philippe van Meerbeeck. Entretien.

Neuropsychiatre et psychanalyste, Philippe van Meerbeeck s'intéresse plutôt à la psychologie des kamikazes, à la fascination qu'ils exercent sur les non convertis. Cette fascination, selon lui, va encore s'accroître suite aux attentats perpétrés à Zaventem et à la station de métro Maelbeek ce mardi 22 mars. Puisqu'on est clairement, dit-il, dans la logique de la surenchère. Ce grand spécialiste de l'adolescence, professeur émérite à la Faculté de médecine de l'Université catholique de Louvain (UCL), regrette que certains médias s'intéressent surtout aux victimes et pas assez aux mécanismes de la conversion de jeunes. Cette presse-là ne joue pas, en ce sens, son rôle éducatif. 

Il est, entre autres, l'auteur de “Mais qu'est-ce que tu as dans la tête?” (Ed. Racine), un ouvrage éclairant sur la soif d'idéal de l'adolescence et sur les raisons qui entraînent les jeunes, souvent belges, à s'engager dans l'Etat islamique (Cf La Libre du 4/ 11 et La Libre.be du 15/11). Nous l'avons interviewé deux heures après les attentats.

Philippe van Meerbeeck, vous pensez donc à la politique de la surenchère suite à l'arrestation de Salah Abdeslam ?

Tout à fait. Les jeunes convertis, d'origine musulmane ou non, sont très fort dans la loi du Talion, dans « l'oeil pour oeil, dent pour dent », dans celle de la main coupée au voleur. Si on porte atteinte à Ben Laden ou à quelqu'un qui passait pour héroïque comme Salah Abdeslam, la vengeance s'impose. Il faut venger le martyr, il est insupportable pour les islamistes de voir comment on a appréhendé Salah Abdeslam, comment cette arrestation a attisé la haine. Mais il ne s'agit là que du sommet de l'iceberg. Car les faits sont cumulatifs et les jeunes qui vont voir sur Internet que la Belgique est au tapis vont être encore plus motivés.

La Belgique aurait-elle dû être plus discrète suite à cette arrestation ?

Nous avons connu un week-end « cocorico ». La Belgique a retrouvé ses couleurs après avoir été montrée du doigt. D'où cette vengance sanglante et fascinante pour les jeunes non convertis.

Comment s'en sortir ?

C'est un cercle vicieux, un engrenage. Daech va revendiquer cet attentat avec des formules faisant référence aux Juifs, aux Croisés, à l'Europe. Pour lui, il faut que cette Europe soit réduite à la terreur. C'est un monde qui doit s'écrouler.

Vous reprochez à une certaine presse de ne pas jouer son rôle...

Elle n'aide pas les gens à mieux comprendre l'arrière-fond. Dans tous les commentaires qui ont suivi les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, j'ai vu trop peu d'analyses des revendications. Pourquoi l'apocalypse ? Quel est le discours qui sous-tend la revanche de Daech en Occident aujourd'hui ? Rien n'est laissé au hasard. Il est fondamental de bien expliquer cela. On parle de stress post-traumatique, de la peur, mais on ne dit rien sur les milliers de jeunes qui sont du côté des kamikazes.

Les médias ont le devoir de donner des analyses intellectuelles pour comprendre les idées qui se trouvent derrière des termes comme « Apocalypse », « lutte contre les mécréants ». Ces discours de Daech ne sont pas assez commentés. Tout le monde a peur. On est de nouveau au niveau 4 . Des milliers de jeunes vont surfer sur les réseaux et s'identifier à leurs pairs qui mettent l'Europe au tapis. Il faut être très attentif à cela.

Quelle va être la réaction de Salah Abdeslam aujourd'hui ?

On dit qu'il collabore. Je pense que maintenant, il va se taire complètement pour ne pas mettre sa vie en danger. On est en train de recevoir une belle douche froide. Mais le cerveau n'est pas Salah Abdeslam. Ce sont des universitaires convertis, des « blancs aux yeux bleus » très sûrs de leur démarche, désireux d'instaurer le grand califat, de restaurer la Sharia, de revenir au Moyen Age musulman. De très nombreux adolescents sont fascinés.

Comment arrêter ce processus ?

C'est très compliqué. Je suis en train d'écrire un nouveau livre sur le sujet mais le travail est immense. Il faut donner les moyens aux jeunes de ne pas se laisser manipuler.

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