Que dit vraiment le pape à propos du célibat des prêtres ? (30/01/2019)

De Bénédicte Lutaud sur le site de l'hebdomadaire "La Vie" :

Célibat des prêtres : ce qu'a vraiment dit le pape François

Dans l’avion qui le ramenait des JMJ au Panama, le pape a réitéré son opposition au « célibat optionnel » pour les prêtres, tout en rouvrant le débat sur l’ordination de « viri probati », des hommes mariés ayant fait leurs preuves au plan humain et pastoral.

C’est à rien n’y comprendre. « Le pape François inflexible sur le célibat des prêtres »,titre L’Express« Le pape François repose la question du célibat des prêtres », souligne quant à lui le site de France bleu. Mais qu’a vraiment voulu dire l’évêque de Rome, dans l’avion qui le ramenait des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) au Panama ?

Lors de la traditionnelle conférence de presse à bord du vol papal, interrogé par la journaliste française de Paris Match Caroline Pigozzi sur le célibat des prêtres, le pape a formulé une réponse toute en nuances – certains diront « jésuite ». Et, comme souvent, chacun tend à interpréter ses propos dans le sens qui lui semble le plus favorable.

« Le célibat optionnel, non », « je ne le ferai pas »

« Est-il possible de penser que, dans l’Église catholique, en suivant le rite oriental, vous permettrez à des hommes mariés de devenir prêtres ? », a demandé Caroline Pigozzi. La question portait donc sur l’ordination d’hommes déjà mariés, et non sur la possibilité, pour des prêtres déjà ordonnés, de se marier ; le vrai débat au sein de l’Église se situant sur la première hypothèse, la seconde étant écartée de façon beaucoup plus ferme. « Dans l’Église catholique, dans le rite oriental, ils peuvent le faire, et on fait l’option, célibataire ou marié – avant le diaconat » , s’est tout d’abord contenté de répondre François. Dans l’Église catholique orientale, il est en effet possible d’ordonner prêtres des hommes déjà mariés, mais il n’est pas question que des hommes ordonnés puissent convoler. « Mais maintenant, avec l’Église catholique de rite latin, peut-on penser que vous prendrez cette décision ? » , a alors insisté la journaliste.

À cet instant, François a formulé une réponse beaucoup plus complète : « Il me vient à l’esprit cette phrase de saint Paul VI : “Je préfère donner ma vie avant de changer la loi sur le célibat.” (…) Personnellement, je pense que le célibat est un don pour l’Église. Deuxièmement, moi je ne suis pas d’accord pour permettre le célibat optionnel, non. »

Jusqu’alors, le pape s’était exprimé de façon plus ambigüe sur cette question. Sa première déclaration sur le sujet date du 25 mai 2014, lors d’une conférence de presse dans l’avion qui le ramenait de Terre sainte : « Le célibat est une règle de vie que j’apprécie beaucoup, et je crois que c’est un don pour l’Église. Comme ce n’est pas un dogme de foi, la porte est toujours ouverte. » Désormais, le message est clair : le célibat optionnel dans l’Église catholique de rite latin, c’est non.

Le pape François veut-il des prêtres mariés ?

Mais le pape ne s’est pas arrêté là, rouvrant alors le débat sur une autre solution possible : « Il resterait seulement quelques possibilités dans les lieux les plus éloignés – je pense aux îles du Pacifique… Mais c’est une chose à penser quand il y a une nécessité pastorale, là, le pasteur doit penser aux fidèles. » François a alors cité le livre de l’évêque allemand Fritz Lobinger (évêque missionnaire catholique d’Aliwal en Afrique du Sud de 1987 à 2005), Prêtres pour demain, avant d’insister, prudent : « C’est une chose en discussion entre théologiens, ce n’est pas ma décision. Ma décision c’est : le célibat optionnel avant le diaconat, non. Cela m’appartient, c’est personnel, je ne le ferai pas, que cela reste clair. Je suis “fermé” ? Peut-être. Mais je ne me sens pas de paraître devant Dieu avec cette décision. »

Les viri probati en question

Le pape est alors revenu sur la thèse de Fritz Lobinger : « Il a dit : “L’Église fait l’eucharistie et l’eucharistie fait l’Église”, mais là où il n’y a pas d’eucharistie, dans les communauté – pensez aux îles du Pacifique... » « – En Amazonie aussi », observe alors la journaliste française. « Peut-être là… dans de nombreux endroits, reprend le pape François. Lobinger dit : qui fait l’eucharistie ? Dans ces communautés les “directeurs”, disons, les organisateurs de ces communautés sont les diacres, ou les sœurs ou les laïcs, directement. Et Lobinger dit : on peut ordonner un ancien, marié – c’est sa thèse – on pourrait ordonner un ancien marié, mais qui exerce seulement lemunus sanctificandi , c’est-à-ire qui célèbre la messe, qui administre le sacrement de la réconciliation et donne le sacrement des malades. » Et le Saint-Père d’expliquer : « L’ordination sacerdotale donne les trois munera (charges liées au sacrement de l’ordre, ndlr) :regendi – gouverner, le pasteur – docendi – enseigner – et sanctificandi.Cela vient avec l’ordination. L’évêque ne donnerait que la faculté pour le munus sanctificandi : c’est la thèse. Le livre est intéressant. Peut-être que cela peut aider à penser le problème. »

Et François de conclure, toujours aussi prudent « je crois que le problème doit être ouvert dans ce sens, là où il y a un problème pastoral de manque de prêtres. Je ne dis pas que cela doit se faire, parce que je n’ai pas réfléchi, je n’ai pas prié suffisamment sur cela. Mais les théologiens doivent étudier. »

Sans les nommer, le pape fait ici référence aux viri probati – des hommes mariés ayant fait leurs preuves au plan humain et pastoral. La question de l’ordination des viri probati au sacerdoce – et pas seulement au diaconat permanent comme cela se fait depuis 50 ans – dans certains endroits reculés en pénurie de prêtres, est un serpent de mer depuis les années 1970. Jusqu’alors, elle a été rejetée par Jean Paul II puis Benoît XVI.

Des solutions locales

La question des viri probati revient régulièrement sur le devant de la scène depuis le début du pontificat du pape François, et surtout à l’approche du synode des évêques sur l’Amazonie, prévu en octobre 2019. L’Amazonie est en effet un territoire brésilien immense, où le nombre de prêtres est insuffisant pour assurer une présence régulière auprès des autochtones. Ce sujet avait déjà fait l’objet d’une conversation privée entre Mgr Erwin Kräutler, évêque de Xingu, en Amazonie, et le pape, comme le soulignait Jean Mercier, auteur du livre Célibat des prêtres. La discipline de l’Église doit-elle changer ? . Le 4 avril 2014, Kraütler avait confié que, lors de cette conversation avec le pape, ce dernier lui avait répondu que, face à la pénurie de prêtres, c’était aux évêques, et donc aux Églises locales de faire des propositions.

Ordination d'hommes mariés : la méthode François

En mars 2017, dans une interview au journal allemand Die Zeit, le pape avait par ailleurs assuré qu’une réflexion sur l’ordination des viri probati devrait être examinée pour déterminer si cela pouvait être une chance pour l’Église, et étudier quelles fonctions ils pourraient remplir, notamment au sein de communautés isolées (comme celles évoquées avec Mgr Kraütler au Brésil).

Un « type de ministère » pour les femmes

À l’approche du synode sur l’Amazonie, la question s’est à nouveau invitée dans les débats. Dans le document préparatoire du synode rendu public le 8 juin 2018, toutefois, une seule phrase, elliptique, semblait faire référence aux viri probati, sans jamais les nommer : « Il faut repenser de nouveaux chemins pour que le peuple de Dieu ait plus fréquemment un meilleur accès à l’eucharistie, centre de la vie chrétienne. » Le document encourageait davantage à faire appel aux laïcs, et notamment aux femmes, invitant à « discerner le type de ministère officiel qui peut être conféré aux femmes » , en tenant compte de leur « rôle central joué aujourd’hui (…) dans l’Église amazonienne ».

Synode sur l'Amazonie : le Vatican envisage un "type de ministère" pour les femmes

Sans aller jusqu’à l’ordination de femmes diacres, cette piste d’un « type de ministère officiel » féminin montrait un changement culturel notable dans la réflexion de certains évêques : penser la crise des vocations non plus uniquement à partir des prêtres, mais aussi des laïcs. Une « décléricalisation » que n’a de cesse de demander le pape François.

Différentes solutions semblent ainsi envisagées pour remédier à la pénurie de prêtres. François a été clair sur la célibat optionnel pour les prêtres, comme il l’a été sur l’ordination de femmes prêtres : c’est non. En revanche, il invite à discerner d’autres formes de ministères pour les laïcs, dont les femmes. Fidèle à sa volonté de décentraliser l’Église, il invite les théologiens à s’emparer de la question et les Églises locales à faire des propositions. Une manière, quelque-part, de se « déresponsabiliser du sujet » : la décision ne sera peut-être pas prise sous son propre pontificat. En revanche, l’idée est semée…

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