Des gynécologues expliquent pourquoi il ne faut pas élargir les conditions d'accès à l'avortement jusqu'à 18 semaines (20/12/2019)

Les habitués de belgicatho savent qu'à nos yeux la loi actuelle qui autorise la pratique de l'avortement inscrit dans notre législation le droit de tuer et est absolument illégitime et irrecevable. Cette loi est contraire à la loi divine ("Tu ne tueras point") mais aussi au droit naturel; elle franchit une limite qui rend tout notre système complice d'une transgression inadmissible. Mais aujourd'hui, il s'agit de franchir de nouvelles limites qui rendent cette loi plus abominable encore. C'est pourquoi nous devons nous résigner à faire écho à ces réflexions pour éviter que le mal s'aggrave davantage, sans bien sûr cautionner des constats qui accordent leur satisfecit à la loi telle qu'elle existe aujourd'hui.

Du site du Soir :

«Non à cette modification de la loi sur l’IVG»

PAR XAVIER DE MUYLDER, GYNECOLOGIE CLINIQUE SAINT JEAN BRUXELLES; PIERRE BERNARD, GYNÉCOLOGIE-OBSTÉTRIQUE CLINIQUE SAINT LUC BRUXELLES; MARLÈNE TOP, GYNECOLOGIE GRAND HOPITAL DE CHARLEROI; TIMOUR WILLEMS, GYNECOLOGIE GRAND HOPITAL DE CHARLEROI; BERNARD SPITZ, PROF ÉMÉRITE GYNECOLOGIE KUL; ROLAND DE VLIEGER, GYNÉCOLOGIE-OBSTÉTRIQUE KUL; JAN BOSTEELS, GYNÉCOLGUE IMELDA MECHELEN; ANNIE PECCEU, GYNÉCOLOGIE TURNHOUT; LORE LANNO, GYNÉCOLOGIE LEUVEN.

La commission justice se réunit ce vendredi pour la deuxième lecture de la proposition de loi visant à élargir les conditions d’accès à l’avortement jusqu’à 18 semaines. Certains gynécologues estiment que, dans ses termes actuels, la loi ne doit pas être modifiée.

La proposition de loi élargissant les conditions de l'avortement est examinée ce vendredi en deuxième lecture en Commission de la Justice à la Chambre.
La proposition de loi élargissant les conditions de l'avortement est examinée ce vendredi en deuxième lecture en Commission de la Justice à la Chambre. - Photonews

Aujourd’hui, la question n’est plus de savoir si l’on est pour ou contre l’avortement. L’enjeu est de considérer la modification majeure du cadre légal de l’avortement envisagée par la proposition de loi en débat. Nous, gynécologues, pensons que c’est une mauvaise initiative et souhaitons expliquer pourquoi.

1. Parce que c’est une démarche précipitée, prématurée

Avant de modifier une loi aussi importante, il faut connaître l’évaluation qui en est faite. Pourquoi la commission d’évaluation n’a-t-elle remis aucune statistique ni analyse depuis 2011 ? N’est-il pas dangereux de voter une telle loi sans analyser la réalité sur le terrain ? Pourquoi ne tient-on aucun compte des deux modifications importantes apportées en 2018 ? Dans certains cas, la grossesse peut être interrompue pendant la 15ème semaine et en cas d’urgence médicale, le délai de réflexion peut être suspendu. La commission Justice de la Chambre a entendu 20 experts, dont la majorité ne s’est pas prononcée sur les changements apportés. Pourquoi n’a-t-elle pas interrogé les nombreux gynécologues qui pratiquent l’IVG en dehors des Centres de Planning Familial ? Pourquoi n’a-t-elle pas demandé l’avis du collège Mère-Enfant, organe fédéral dont c’est la mission ?

2. Parce que la loi actuelle fonctionne de manière adéquate

Selon la loi actuelle, une femme peut interrompre une grossesse jusqu’à 14 semaines d’aménorrhée. Elle bénéficie au préalable de l’accueil d’une équipe pluridisciplinaire qui veille à lui prodiguer toute l’aide médicale, psychologique, sociale, humaine, dont elle peut avoir besoin. Aujourd’hui, la loi réalise un équilibre entre le respect de la liberté de la femme qui ne souhaite pas enfanter, et la protection due à la vie naissante. Veut-on maintenant bousculer cet équilibre ? Souhaite-t-on passer en force ou faut-il au contraire patiemment susciter un vrai débat de société ?

3. Parce qu’il existe une différence majeure entre 14 et 20 semaines

En passant de 14 à 20 semaines d’aménorrhée (ou 12 à 18 semaines de grossesse), la loi introduit un saut majeur, même si c’est évidemment un processus continu. Au premier trimestre de sa grossesse, la femme éprouve souvent des sentiments ambivalents : le bonheur d’être enceinte s’accompagne d’anxiété, de malaises et de craintes pour son intégrité physique et psychique. Au deuxième trimestre, cette ambivalence diminue puis disparaît lorsque la mère ressent les mouvements du fœtus. C’est une étape psychologique qui l’a conduit à accepter le fœtus comme un individu à part entière, une autre personne qui grandit en elle. La femme parle davantage de son bébé plutôt que de sa grossesse. C’est à cause de cette fréquente ambivalence que plus de 85 % des pays européens limitent le délai légal d’un avortement à 14 semaines d’aménorrhée.

4. Parce qu’il existe déjà une solution disponible pour traiter les demandes tardives après 14 semaines

Nous sommes très préoccupés par les demandes tardives et les 500 femmes qui chaque année sont orientées vers l’étranger. C’est un problème grave mais il concerne un nombre très limité de femmes. Parmi ces 3 % de demandes tardives, 38 % avaient dépassé le délai légal de moins d’une semaine. Selon la modification de la loi de 2018, ces cas devraient être traités en Belgique. Le nombre de demandes s’en trouverait donc réduit à 2 %.

Quel que soit leur nombre, nous ne voulons pas les abandonner et il est primordial de s’en occuper correctement en Belgique. La commission d’évaluation devrait d’abord nous aider à mieux cerner le contexte qui amène ces femmes à consulter si tard. Nous savons que ce sont des parcours de vie très douloureux, des souffrances multiples, des situations sociales dramatiques et parfois de grandes violences. Ces personnes pourraient certainement bénéficier du cadre de l’interruption médicale de grossesse (IMG). En Belgique, une grossesse peut être interrompue, sans aucune limite de terme, lorsque le fœtus est malformé ou lorsque la santé de la mère est gravement menacée. La définition de la santé par l’OMS permet certainement d’inclure un bon nombre des 2 % de demandes tardives dans les indications d’IMG.

5. Parce qu’interrompre une grossesse après 14 semaines est un acte médical très différent

Après 14 semaines, avorter est médicalement et humainement beaucoup plus traumatisant. En tant que médecin, nous sommes tenus d’informer la patiente, de manière complète et compréhensive, sur l’état de la grossesse, sur la technique de curetage avec morcellation du fœtus ainsi que sur l’augmentation des risques d’hémorragie, de perforation, de lésion du col utérin, d’infection et de possibles répercussions sur la fertilité ultérieure. Où trouvera-t-on cadre plus sûr que dans un hôpital disposant de moyens de transfusion immédiate, d’équipes chirurgicales entraînées et éventuellement d’une unité de réanimation ?

6. Parce que ce n’est pas en changeant la loi que l’on fera diminuer le nombre d’IVG tardives

Tous les intervenants s’accordent pour dire que ces demandes d’IVG tardives sont des cas dramatiques et que l’on souhaite les voir disparaître. Mais est-ce en changeant la loi que nous atteindrons ce but ? Comment éduquer à la responsabilité et au respect de soi-même et des autres, si face à un petit nombre d’échecs et d’accidents, nous changeons les règles et introduisons de nouvelles normes ?

7. Parce qu’il faut offrir un temps de mise en perspective

Faut-il parler de délai de réflexion ? Lorsqu’une femme demande un avortement, elle a déjà bien réfléchi avant de prendre sa décision. Dans ce contexte, le but d’une pause entre deux consultations n’est pas de la dissuader d’avorter, mais vise à lui offrir un cadre sécurisant d’écoute et d’attention qui inclut toutes les composantes psychologique, familiale, relationnelle, socioprofessionnelle, pour la soutenir. Il lui est bénéfique de pouvoir rencontrer une équipe multidisciplinaire qui, avec compétence et bienveillance, offre un espace de mise en perspective, permet de sortir de l’urgence, de faire face à de possibles pressions familiales ou professionnelles pour retrouver la sérénité nécessaire et prendre une décision vraiment libre. Un tel accompagnement permet souvent que l’IVG soit mieux vécue. Même aux Pays-Bas, le délai de réflexion est de 5 jours. Plus la grossesse avance, plus les liens mère-foetus sont complexes et plus la précipitation pourrait générer un stress post-traumatique.

Il convient de mettre la durée de ce temps de réflexion en perspective avec le contexte. Il faut aussi rappeler que la loi de 2018 permet de réduire ce délai s’il existe une raison médicale urgente.

En conclusion, il nous semble donc que la loi existante offre un cadre satisfaisant pour prendre en charge en Belgique une grande majorité des grossesses non désirées. Ce projet de loi n’est pas nécessaire et il nous entraîne dans une fuite en avant sans mesurer les difficultés à le réaliser et les probables conséquences négatives. Nous appelons tous les députés à dépasser les traditionnels clivages de la société belge (laïques, progressistes, conservateurs) et à réfléchir à tous les enjeux de cette modification. Nous appelons les citoyens préoccupés du bien vivre ensemble et du message à passer aux générations futures, à faire entendre leurs voix dans un vrai débat de société, et à leurs côtés plus de 2.500 professionnels de la santé opposés à cette proposition de loi.

 
 

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