Quand le Comité consultatif de bioéthique de Belgique décrète que la gestation pour autrui est « éthiquement acceptable » (16/06/2023)

Une Note d’analyse de l'Institut Européen de Bioéthique :

Dans un avis du 17 avril 2023, le Comité consultatif de bioéthique de Belgique recommande au législateur de légaliser la gestation pour autrui (GPA). Le Comité revient ainsi sur son avis de 2004 où il abordait déjà la question, en raison dit-il de l’évolution des connaissances et des développements sociétaux et juridiques de ces 20 dernières années.

Logique instrumentale du corps humain

Le Comité prend appui sur le principe d’autonomie personnelle des parents d’intention et leur droit au respect de la vie privée et familiale, ainsi que sur la maîtrise corporelle de la « femme gestatrice » (le Comité préfère cette expression à celle de « mère porteuse », problématique selon lui car elle maintient un lien entre grossesse et maternité). L’invocation du principe d’indisponibilité du corps humain pour s’opposer à une légalisation de la GPA est rejetée, au profit du principe d’autodétermination vis-à-vis de son propre corps. Ainsi, le Comité explique qu’aujourd’hui, « l’individu souhaite pouvoir décider plus librement de [son corps], comme il souhaite pouvoir effectuer ses propres choix en ce qui concerne l’engendrement (ou la contraception et l’interruption de grossesse) et la fin de vie (dont la possibilité de demander l’euthanasie). » C’est donc bien dans une vision instrumentale du corps humain que s’inscrit cet avis.

A l’objection suivant laquelle la convention de GPA est illicite en raison de son objet (transfert de l’enfant), le Comité oppose une autre vision : l’objet du contrat n’est pas la cession de l’enfant, mais le « travail de gestation ». L’enfant pourrait être, dès sa conception, considéré comme celui des parents d’intention.

Ce postulat implique la négation du principe en droit selon laquelle la mère est celle qui accouche de l’enfant (mater semper certa est). Il s’agit donc d’opérer une véritable révolution juridique et anthropologique dans l’ordre de la filiation.

 

Texte complet de la Note d'analyse :

La gestation pour autrui est « éthiquement acceptable » selon le Comité consultatif de bioéthique de Belgique

Dans un avis du 17 avril 2023, le Comité consultatif de bioéthique de Belgique recommande au législateur de légaliser la gestation pour autrui (GPA). Le Comité revient ainsi sur son avis de 2004 où il abordait déjà la question, en raison dit-il de l’évolution des connaissances et des développements sociétaux et juridiques de ces 20 dernières années.

Actuellement en Belgique, la GPA est pratiquée dans 5 hôpitaux qui ont chacun mis au point leur propre protocole étant donné l’absence d’encadrement légal en la matière – mais aussi l’absence de condamnation ferme de la GPA par la loi. Le droit de la filiation constitue néanmoins un obstacle à son développement, dû à l’absence de reconnaissance des conventions de mères porteuses et donc au risque que la mère porteuse ne se rétracte et garde l’enfant. Le couple d’intention doit en outre passer par l’adoption plénière pour établir un lien de filiation avec l’enfant.

Logique instrumentale du corps humain

Le Comité prend appui sur le principe d’autonomie personnelle des parents d’intention et leur droit au respect de la vie privée et familiale, ainsi que sur la maîtrise corporelle de la « femme gestatrice » (le Comité préfère cette expression à celle de « mère porteuse », problématique selon lui car elle maintient un lien entre grossesse et maternité). L’invocation du principe d’indisponibilité du corps humain pour s’opposer à une légalisation de la GPA est rejetée, au profit du principe d’autodétermination vis-à-vis de son propre corps. Ainsi, le Comité explique qu’aujourd’hui, « l’individu souhaite pouvoir décider plus librement de [son corps], comme il souhaite pouvoir effectuer ses propres choix en ce qui concerne l’engendrement (ou la contraception et l’interruption de grossesse) et la fin de vie (dont la possibilité de demander l’euthanasie). » C’est donc bien dans une vision instrumentale du corps humain que s’inscrit cet avis.

A l’objection suivant laquelle la convention de GPA est illicite en raison de son objet (transfert de l’enfant), le Comité oppose une autre vision : l’objet du contrat n’est pas la cession de l’enfant, mais le « travail de gestation ». L’enfant pourrait être, dès sa conception, considéré comme celui des parents d’intention.

Ce postulat implique la négation du principe en droit selon laquelle la mère est celle qui accouche de l’enfant (mater semper certa est). Il s’agit donc d’opérer une véritable révolution juridique et anthropologique dans l’ordre de la filiation.

Les conséquences pour les enfants et la mère porteuse sous-estimées

Pour élaborer son avis, le Comité a interrogé quatre experts aWachés respecyivement à l’ULB, l’Université d’Anvers, l’Hôpital universitaire de Gand, au CHU Saint-Pierre, ainsi qu’un avocat et une chercheuse à l’Université de Cambridge. Cette dernière, le professeur Susanne Golombok, a réalisé une étude portant sur une quarantaine de familles établies par GPA. Le comité en retient que « les enfants issus d’une GPA se développaient tout aussi bien que les enfants élevés au sein de familles conçues sans intervention médicale ». C’est presque exclusivement sur l’étude de cet expert auditionné que se base le passage extrêmement court que l’avis consacre aux conséquences de la GPA sur les enfants.

Concernant l’attachement affectif que la mère porteuse pourrait développer à l’égard de l’enfant, le comité constate que les études en la matière sont limitées. Il prend appui sur une seule étude, britannique à nouveau, et menée auprès de 34 mères porteuses, pour en déduire que celles-ci « ne rencontraient généralement pas de problèmes significatifs ».

Les deux questions éthiques fondamentales autour de la GPA sont ainsi évincées en quelques lignes par le Comité, sans avoir mérité un quelconque approfondissement, alors qu’il existe de sérieux avertissements de la part d’experts sur les implications de la GPA, tant pour les mères porteuses, que pour les enfants (voy. la Déclaration de Casablanca, 2023).

Droit de se rétracter ?

Le Comité est divisé sur deux points :
1. La possibilité pour la mère porteuse et pour les parents d’intention de se rétracter jusqu’à la naissance, respectivement en gardant l’enfant, ou en y renonçant.
2. L’autorisation d’un lien génétique entre l’enfant et la mère porteuse, qui selon certains membres, pourrait favoriser un lien émotionnel entre la mère porteuse et l’enfant alors qu’on ne le souhaite pas.

A noter que les membres du Comité pour lesquels la mère porteuse ne devrait pas pouvoir se rétracter et décider de garder l’enfant, tiennent à ce qu’elle garde néanmoins le droit d’avorter. Suivant cette logique hautement questionnable, la femme enceinte qui ne souhaiterait pas remettre l’enfant qu’elle porte, se trouverait donc face un dilemme digne du jugement de Salomon : soit avorter, soit remettre l’enfant aux parents commanditaires.

A aucun moment, le Comité n’aborde l’hypothèse du handicap chez l’enfant conçu par GPA. Ce silence laisse entendre que la question devrait être réglée dans le contrat de GPA, comme cela se fait aux Etats-Unis, où il arrive que la mère porteuse soit tenue d’avorter si l’enfant n’est pas conforme aux attentes du couple commanditaire.

Le cadre de l’adoption n’est pas approprié

Contrairement à ce qu’il affirmait dans son avis antérieur, le Comité reconnait à présent que l’adoption n’est pas la méthode appropriée pour créer un lien de filiation dans le cadre d’une GPA, notamment en raison de la différence des finalités : contrairement au cas de l’adoption, avec la GPA, les parents d’intention sont considérés comme parents légaux dès la conception.

De plus, l’adoption doit répondre à des exigences très spécifiques (cours de préparation etc.).

Des exigences minimales

Le Comité suggère au législateur d’interdire les accords sur une base commerciale. Il reviendrait donc au centre de fertilité de vérifier que la future mère porteuse n’a pas reçu d’incitant financier. Mais la question de savoir quel sort réserver aux GPA commerciales conclues à l’étranger n’est pas abordée.

L’accès à la GPA est considéré de façon très large par l’instance consultative : il concerne les parents d’intention confrontés à des risques majeurs liés à la grossesse, mais aussi à ceux qui n’ont pas d’autre option médicale en termes d’assistance à la procréation, autrement dit, en ce compris les couples homosexuels masculins. Il n’est pas non plus exclu que la GPA soit ouverte à un individu célibataire : « Tout parent d’intention devrait, en principe, pouvoir accéder à ce service, moyennant un projet parental estimé suffisamment solide », explique le Comité.

Pour approfondir la ques8on des enjeux éthiques, juridiques et médicaux autour de la GPA, l’Institut Européen de Bioéthique invite à lire son dossier sur le sujet.

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