La révolution du pape François "jette le trouble dans l'Eglise" (14/08/2023)

De Jean-Marie Guénois sur le site du Figaro via Il Sismografo :

Ordination d’hommes mariés, diaconat féminin... La révolution voulue par le pape François jette le trouble dans l’Église

13 août 2023

Le pape entend modifier en profondeur la gouvernance de l’institution catholique. Une voie contestée par de nombreux laïcs et prêtres.-- En cette fête de l’Assomption de Marie, le 15 août, le monde catholique célèbre l’un de ses plus grands rendez-vous de l’année. Encore bercé par le succès rassurant des JMJ au Portugal, l’Église vit toutefois dans la confusion face aux orientations que le pape entend imposer dès la rentrée à l’institution. La douce consolation estivale de Lisbonne pourrait se transformer en un véritable choc automnal.

Juste avant les Journées mondiales de la jeunesse, le pape a en effet confirmé, par des actes forts, sa volonté de réformer l’Église, à tout prix et en trois directions. En premier lieu sa gouvernance, que François veut plus démocratique et décentralisée. La vision théologique catholique ensuite qui ne doit plus être conservatrice mais progressiste, au diapason des évolutions de la société moderne. Et enfin sa succession, qu’il prépare en réduisant à une minorité congrue les cardinaux opposés à sa vision de l’Église parmi ceux qui éliront son successeur.

Ainsi, le 20 juin, faisait-il publier un audacieux «document de travail» (instrumentum laboris), qui guidera le prochain synode réformateur sur la gouvernance de l’Église. Cette assemblée réunira au Vatican trois cents évêques et expert laïcs en deux sessions, programmées en octobre prochain et un an plus tard. Le 7 juillet, le Vatican dévoilait la liste décisive des participants à ce synode, choisis, en majorité, pour leur opinion en faveur de la réforme.

Parmi eux, François a voulu par exemple nommer James Martin, un jésuite américain, leader de la défense de la cause LGBTQ+. Ce religieux est un symbole. Il est aussi extrêmement efficace et ne sera pas inerte lors de l’assemblée pour faire avancer le dossier de la bénédiction des couples homosexuels, l’une des réformes publiquement demandées par ce synode.

Les décisions «irréversibles» du pape

Parmi les autres réformes débattues, la gouvernance de l’Église, elle, ne serait plus aux seules mains des prêtres et évêques. Des laïcs de base seraient impliqués selon une méthode plus démocratique, moins hiérarchique. Rome ne serait plus d’ailleurs la centrale de pouvoir, lequel devrait se décliner au niveau local ou continental, selon les dossiers. Quant aux femmes, elles pourraient bénéficier de nouvelles responsabilités et, un jour, d’un statut diaconal, la requête est déposée. Le célibat sacerdotal, enfin, sera lui aussi discuté pour ouvrir, pourquoi pas, la prêtrise à des hommes mariés.

Le 1er juillet, François a pris une autre décision capitale. Il a nommé son ami et fils spirituel, Mgr Victor Manuel Fernandez, 61 ans, au poste clé de préfet du dicastère de la Doctrine de la foi. À partir de la mi-septembre, cet Argentin, mentor théologique du pontificat de François, va donner le ton à l’échelle mondiale de l’Église catholique. Comme le fit, au même poste, un certain cardinal Ratzinger sous le pontificat de Jean-Paul II. Sauf que Fernandez apparaît comme l’anti-Ratzinger sur le plan théologique.

Dernière décision estivale du pape, il a créé, le 10 juillet, une promotion de 21 nouveaux cardinaux pour s’assurer cette fois une majorité dans sa ligne en cas de conclave: désormais, 72 % des cardinaux électeurs - ils doivent avoir moins de 80 ans - ont été choisis par François. La majorité nécessaire pour élire un pape est fixée à 66 %. Si Jean-Paul II créa neuf promotions de cardinaux en vingt-cinq ans de pontificat en visant l’équilibre des sensibilités, François en aura lancé autant en seulement dix ans de pontificat, tous dans sa ligne, à de très rares exceptions près.

Tous les observateurs s’accordent sur un constat identique «d’accélération» de cette phase du pontificat. Il s’agit de rendre «irréversibles» les décisions du pape. L’adjectif «irréversible» reviendrait même souvent dans sa bouche selon plusieurs de ses proches. Mais si les trois pouvoirs - gouvernance, ligne théologique, élection du pape - changent de mains, six mois après la mort de Benoît XVI, cette évolution induit l’asphyxie assumée de l’influence conservatrice, classique, au profit du bloc progressiste.

À propos de cette offensive, le père jésuite américain Thomas Reese, fin observateur du pontificat, confirme au Figaro ce qu’il a récemment écrit dans le National Catholic Reporter: «Une organisation peut avoir des politiques merveilleuses mais, si les personnes responsables de leur mise en œuvre ne sont pas placées aux postes de pouvoirs ces politiques échoueront.» Depuis le début de son pontificat en 2013, François démontre ainsi un grand savoir-faire politique pour un homme d’Église. Ses collaborateurs rapportent d’ailleurs qu’il ne laisse rien au hasard: vision stratégique, choix des hommes, éloignement des opposants, contrôle interne étroit des subordonnés en vue d’atteindre réellement l’objectif.

Mais cette marche au pas de charge a une conséquence interne: l’Église n’avait pas été à ce point divisée depuis longtemps. Sans surprise, le document de travail du prochain synode a semé la joie chez les réformistes et la consternation chez les catholiques classiques conservateurs. La nouveauté est qu’il a provoqué un trouble inédit chez des prêtres modérés et chez bon nombre d’évêques. Jusque-là peu critiques, beaucoup s’inquiètent de cet assaut autoritariste et volontariste de François vers une réforme qu’ils jugent hasardeuse et confuse.

Besoin d’altérité

Cette défiance nouvelle des modérés est mondiale. Témoin objectif de ces turbulences, l’Église catholique des États-Unis où les divergences, y compris avec ce pontificat et les profondes inquiétudes vis-à-vis du Synode, ne sont pas cachées sous le boisseau comme en France. Ce qui a imposé, le 15 juin, à Mgr Christophe Pierre, un Français, nonce apostolique à Washington - nommé cardinal par le pape le 10 juillet - de se transformer en avocat du «synode sur la synodalité».

Il a dû prononcer un véritable plaidoyer prosynode devant des évêques américains plutôt froids sur le sujet lors de leur assemblée à Orlando en Floride. «Afin de dépasser la polarisation, a lancé le représentant du pape, nous devons apprendre à nous écouter les uns les autres, à travailler ensemble, à marcher ensemble cum Petro et sub Petro. La synodalité? Nous devrions lui faire confiance dès maintenant! Elle n’est pas un nouveau programme, ni un leurre pour masquer un plan de changement de la doctrine de l’Église.»

Avant une rentrée qui s’annonce agitée, le scepticisme règne dans les travées de l’Église de France, chez les laïcs comme chez les prêtres. Beaucoup de ses acteurs, quand ils sont critiques, exigent l’anonymat pour s’exprimer, surtout chez les clercs. Comme si la peur des représailles régnait, loin de l’esprit synodal qui devrait en principe respecter les avis contraires et s’honorer d’un débat contradictoire.

Paule Zellitch, théologienne, présidente de la Conférence catholique des baptisé·e·s francophones (CCBF), revendique «10.000 adhérents et sympathisants». Cette association poil à gratter de l’épiscopat apprécie le projet synodal même si elle juge le texte romain trop «médian». Pour la représentante, «la question est simple: il faut que l’Église s’adapte et avance avec le monde. Sans quoi le monde avancera sans l’Église! Où était Jésus sinon avec le monde?» Elle prévient: «Les évêques ont besoin d’altérité même s’ils n’en veulent pas. Il n’y a plus, nulle part, un chef qui décide de tout, c’est fini!»

Membre de l’équipe nationale du synode, Guillaume Houdan, diacre permanent dans le diocèse de Rouen, se sent lui aussi très à l’aise avec le synode. Ce père de famille âgé de 51 ans reconnaît cependant que les jeunes ont peu participé à l’enquête mondiale préalable qui a abouti au document de travail controversé. Il voit des catholiques «déstabilisés» ainsi qu’une «partie du clergé». Même si, selon lui, un point «serait à régler pour beaucoup: la place des femmes dans l’Église» et la nécessité «de leur trouver ministères plus adaptés», une question effectivement soulevée dans le document préparatoire.

Ce sujet de la place de la femme dans l’Église sera probablement «le» grand sujet synodal. Mais le débat s’annonce tendu. En voici un avant-goût: si pour Paule Zellitch, «rien dans l’Écriture ne s’oppose aux femmes diacres», le cardinal Robert Sarah, interrogé le 6 juillet aux États-Unis à ce sujet - François ne l’a pas invité au synode malgré sa popularité - rappelait: «aucun synode ne peut inventer un sacerdoce féminin.»

Désarticulation de la colonne vertébrale de l’Église

Les renversements annoncés ne passeront peut-être pas comme une lettre à la poste. Un prêtre d’expérience, modéré, s’inquiète: «Ce synode génère énormément d’angoisse chez les gens qui s’intéressent à l’Église et une profonde indifférence chez les autres.» Il ajoute: «Si la participation des laïcs ne doit pas faire débat - ils doivent avoir leur place - l’ecclésiologie catholique s’articule sur les ministères dont celui du prêtre qui est un point central. Or ce qui s’annonce est une désarticulation de cette colonne vertébrale de l’Église.»

Ici transpire la grande angoisse de beaucoup de prêtres et de nombreux laïcs, à savoir le respect du caractère «sacré» de l’Église. Un autre prêtre, jeune, exerçant dans un grand centre urbain, confirme: «Beaucoup sont accablés à la lecture du document de travail du synode. Ils n’y voient pas le raffermissement de la foi mais la catastrophe de la déconstruction de l’Église. Quant aux forces vives du catholicisme, de sensibilité classique, traditionnelle ou d’origines africaines ou des départements d’outre-mer, elles ne se sentent pas concernés par ce synode dont ils ne suivront pas les orientations.»

Plus sévères encore seraient les laïcs. Un jeune juriste qui connaît très bien l’Église déplore: «L’amour de l’Église, dont le trésor vivant est l’Eucharistie, se perd dans une dynamique d’ouverture qui s’apparente à une dissolution.» Pour lui, «le document de travail fait l’effet d’un grand exercice de communication.»

Luc*, un autre laïc nettement plus âgé et professeur universitaire témoigne: «La grande majorité des chrétiens est non seulement inquiète mais elle rumine un sentiment d’impuissance devant un processus qu’elle juge manipulé et artificiel par rapport à la réalité spirituelle de l’Église. Certes, les JMJ ont rassuré mais les réformes annoncées par le synode resteront… Et elles nourrissent encore la décrédibilisation de l’institution. Personne n’est contre le fait de donner plus de responsabilités aux femmes et aux laïcs mais il y a une immense confusion entre des idées judicieuses et des mesures mortifères.»

Philippe*, un autre laïc engagé dans sa paroisse et travaillant auprès des jeunes, témoigne: «Les jeunes éprouvent une vraie tendresse pour ce pape âgé et fatigué mais ils regrettent ses interventions très convenues et calibrées en mode slogan dont “todos, todos”, “tous, tous, une Église ouverte à tous”, couplet écologiste et inclusif que François a lancé à Lisbonne qui reprend des poncifs médiatiques.» Il assure: «Sur le fond, la jeune génération ne comprend plus ce pape souvent jugé démagogue. En voulant plaire au monde, il refuse de parler à son propre peuple. Il est libéral pour les autres, moralisateur pour les siens. Quant aux jeunes plus engagés, ils pensent que le pape parle trop. Il n’est plus pris au sérieux, sa novlangue cléricale ne passe plus.»

Cet homme d’expérience conclut: «Si les jeunes se sentent loin du pape et des évêques et proches de prêtres, ils aspirent à quelque chose de plus généreux, plus spirituel autour du Christ, des saints, de grands idéaux, à contre-courant de la société. Ils ont besoin de beauté, d’intérioriser, de spiritualité, de générosité alors que l’institution promeut pour eux un modèle plus “mainstream”, en mode “zadiste”. L’euphorie des JMJ a certes procuré un souffle chaud d’Esperance et de la joie, cela a fait du bien à tous. Mais cette allégresse des cœurs, vécue à Lisbonne, n’a rien à voir avec les réformes que préparent ces cénacles administratifs et synodaux. Il ne faudrait pas confondre ces deux réalités de l’Église.»

Mais où serait le hiatus? «Les gens, argumente Philippe*, trouvent que la consultation qui a conduit au document préparatoire a été biaisée, comme une manœuvre en vue de parvenir à des conclusions écrites à l’avance. Dans les paroisses, on connaît ceux qui ont répondu aux questions du synode. Ils ont plus de 70 ans, leurs enfants ne pratiquent pas, leurs petits-enfants ne sont pas baptisés. Ces boomers ont donc sorti les vieilles recettes! Ce synode a quelque chose de ringard par rapport à l’attente profonde des jeunes générations.»

*Les prénoms ont été modifiés.

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