Inhabituelle, la scène avait fait grand bruit bien au-delà de la petite église du Pays basque espagnol. En décembre, l’évêque de Saint-Sébastien décidait d’interdire à sa chaîne diocésaine de diffuser tout contenu produit par le réseau américain Eternal Word Television Network (EWTN). En lui reprochant ses critiques contre le pape François, Mgr Fernando Prado Ayuso invoquait alors la nécessité de « préserver l’unité » avec Rome… et s’inquiétait en filigrane de l’influence, toujours croissante, de ce réseau devenu un véritable empire médiatique.

Ses audiences n’ont en effet rien à envier à celles des plus grands titres de la presse généraliste. Un tel succès était pourtant pour le moins inattendu, pour une chaîne fondée avec peu de moyens en 1981, en Alabama, par une religieuse clarisse, mère Angelica (1923-2016)« Il y a là quelque chose qui fait écho à la mythologie de la start-up démarrant de presque rien dans un garage – un peu comme Microsoft, Apple… – et rencontrant un immense succès. EWTN a finalement une histoire très américaine », retrace l’historien Massimo Faggioli (1), professeur d’études religieuses à l’université de Villanova (Pennsylvanie).

Le « Fox News catholique »

Indépendant de l’épiscopat et géré par des laïcs, le réseau EWTN est dirigé depuis 2000 par Michael Warsaw, qui est aussi consultant auprès du dicastère pour la communication au Vatican. « Il est très connecté avec certains puissants catholiques du pays. De ceux qui ne sont pas aussi visibles dans les médias que des évêques, cardinaux ou théologiens, mais qui gouvernent l’Église en coulisses… », poursuit Massimo Faggioli. Non sans relever encore les importants moyens financiers de la chaîne, reposant « sur un giron d’abonnés très fidèles, mais aussi largement sur les fonds de grands donateurs (particuliers fortunés, fondations…) ».

Ces dernières années, EWTN a cherché à étendre son influence, notamment sur les continents asiatique et africain – avec le lancement, en 2019, de l’agence de presse ACI-Africa, basée à Nairobi (Kenya). « Son modus operandi est établi : ses journalistes se rapprochent des conférences épiscopales locales, en leur proposant une mise à disposition gratuite de leur matériel ou de leurs compétences – réelles – en matière de production multimédia. Ils entretiennent ainsi des liens privilégiés, devançant la concurrence… », souligne un observateur asiatique, racontant les avoir vus à l’œuvre lors de la dernière assemblée de la Fédération des conférences épiscopales d’Asie (FABC), à Bangkok en octobre 2022.