Quand Mgr Bonny prend fait et cause en faveur de l'euthanasie (29/09/2023)

De La Libre (Bosco d’Otreppe et Jacques Hermans) du 28 septembre 2023, pp. 4 et 5 :

"Les générations précédentes n’ont pas pu assumer leurs responsabilités face aux abus"

L’évêque d’Anvers, Mgr Johan Bonny, regrette que les générations précédentes n’aient pas pu assumer leurs responsabilités en la matière. Le prélat considère aussi que l’euthanasie "n’est pas nécessairement un mal en tant que tel".

Johan Bonny, évêque d’Anvers, référendaire sur la question des abus, réagit aux révélations sur les abus sexuels commis au sein de l’Église que la série documentaire Godvergeten, les "Oubliés de Dieu", a mis en avant ces dernières semaines sur la chaîne flamande VRT Canvas. En vue du synode (une large réflexion) sur l’avenir de l’Église qui s’ouvre à Rome ce 4 octobre, nous l’avons également interrogé sur la question du pouvoir dans l’Église et sur les positionnements éthiques de cette dernière.

Pourquoi l’Église n’a-t-elle pas réalisé l’ampleur des abus sexuels commis en son sein ? N’a-t-elle pas voulu ou n’a-t-elle pas pu s’en rendre compte ?

Si on avait la réponse… Je suis déçu. Je déplore que les générations précédentes n’aient pas pu assumer leurs responsabilités, n’aient pas réagi avec le discernement ni avec l’efficacité qu’il fallait. Les évêques de l’époque savaient bien que ces abus étaient un mal, mais ils n’ont pas prêté aux victimes l’attention nécessaire. En conférence épiscopale, ils évoquaient le cas des abuseurs, ce qu’il fallait faire avec eux, mais ils ne parlaient pas des victimes ni de l’attention qu’il était nécessaire de leur accorder. Quand des victimes arrivaient auprès du cardinal Danneels, ce dernier ne savait pas quoi faire, il ne savait pas réagir, il n’avait ni les bonnes attitudes ni les bonnes
intuitions pour écouter de tels cas. Les victimes n’ont donc pas pu avoir ce contact direct avec les responsables de l’Église, et cette absence de contact a fait que trop peu a été réalisé avec eux ou pour eux. Notre génération d’évêques est dès lors confrontée à un problème qui aurait dû être réglé il y a 20 ou 30 ans.

Vous allez rencontrer les victimes ?

Oui, pour entendre ce qu’elles attendent de l’Église. Il ne serait pas bon que nous, évêques, arrivions directement avec des réponses sans les avoir écoutées préalablement. Il y a eu des systèmes d’écoute, de médiation et de compensation, mais nous devons comprendre leurs attentes ultérieures pour qu’émergent des pistes de solutions. Alors qu’à Rome va s’ouvrir la semaine prochaine le synode (une grande réflexion, NdlR) sur l’avenir de l’Église, nous devons aussi pouvoir les entendre sur les réformes structurelles dont l’Église a besoin à leurs yeux. Il ne faut cependant pas attendre des solutions universelles à ces problèmes locaux. Chaque conférence épiscopale doit réagir sans attendre que Rome décide de tout. Sinon, ce serait le meilleur moyen d’étouffer l’affaire.

Jusqu’ici, l’essentiel des décisions se prend au Vatican. Souhaitez-vous que les évêques locaux aient plus de pouvoir, comme le désire le pape François ? N’y aurait-il pas un risque pour l’unité de l’Église ?

Non, je trouve cette idée tout à fait positive : les réalités sont tellement différentes d’une région à l’autre qu’il faut donner beaucoup plus de responsabilités aux évêques locaux. Nous ne pouvons plus attendre que toutes les réponses s’appliquent partout de la même manière et soient décidées depuis Rome. Nous devons donc réfléchir à une méthodologie qui nous permettra d’articuler les différentes responsabilités dans l’Église : celles du Pape, celles des évêques et celles des fidèles.

Quelles responsabilités nouvelles pourrait-on accorder aux évêques dans leur pays respectif ?

La possibilité d’ordonner prêtre des hommes mariés, ainsi que celle de donner telle ou telle responsabilité aux femmes. Mais aussi la capacité de répondre à certaines questions éthiques ou familiales : bénir les unions homosexuelles qui s’inscrivent dans la fidélité et l’amour mutuel (c’est ce que souhaitent les évêques en Belgique), offrir des réponses adaptées aux demandes d’euthanasie.

L’Église pourrait donc adopter des positions différentes quant à la question de l’euthanasie ? Cela voudrait-il dire, qu’aux yeux de l’Église, la valeur de la vie varie en fonction des régions du monde ?

La philosophie m’a appris à ne jamais me satisfaire des réponses génériques en noir et blanc. Toutes les questions méritent des réponses adaptées à une situation : un jugement moral doit toujours être prononcé en fonction de la situation concrète, de la culture, des circonstances, du contexte.

Pour vous, l’euthanasie n’est donc pas nécessairement un mal ?

Non, pas nécessairement en tant que tel.

C’est la première fois qu’on entend un évêque dire cela…

Nous serons toujours en faveur des soins palliatifs et nous prônons constamment le respect de la vie, mais je regrette que, depuis le Vatican, la congrégation pour la doctrine de la foi affirme que l’euthanasie est toujours un mal intrinsèque, quelle que soit la circonstance. C’est une réponse trop simple qui ne laisse pas de place au discernement. Nous nous opposerons toujours au souhait de certains d’arrêter une vie trop prématurément, mais nous devons reconnaître qu’une demande d’euthanasie d’un jeune homme de 40 ans n’est pas équivalente à celle d’une personne de 90 ans qui fait face à une maladie incurable. Nous devons apprendre à mieux définir les notions et à mieux distinguer les situations.

Les "dix commandements" de la Bible - dont "tu ne tueras point" - sont catégoriques et semblent concerner toutes les situations. La Bible est-elle contre la philosophie et le discernement ?

Il est bon de rappeler que l’on ne peut tuer, et je suis contre tous les meurtres. Mais qu’est-ce que tuer, qu’est-ce qu’un meurtre ? Que dites-vous à quelqu’un qui tue un ennemi au nom de la légitime défense ? Que dites-vous à quelqu’un qui est touché par une maladie incurable depuis des années et qui a décidé de demander une euthanasie après en avoir parlé à sa famille, son médecin, ses proches ? Il faut toujours faire référence à la Bible, mais rien n’est plus difficile que de l’interpréter et de l’appliquer à une situation particulière sans tomber dans du fondamentalisme. Dieu compte sur notre intelligence pour bien comprendre sa parole.

Êtes-vous satisfait de la loi belge en matière d’euthanasie ?

Ce n’est pas à un évêque de juger de la loi. Je considère plutôt son application sur le terrain, et c’est clair que tous nous craignons que cette application soit trop libérale et qu’il y ait trop de glissements : que des demandes soient trop vite acceptées sans qu’une solution alternative ne soit recherchée. Mais la réponse a ce glissement ne peut être un carton rouge émis à l’encontre de toutes les euthanasies.

07:56 | Lien permanent | Commentaires (6) |  Facebook | |  Imprimer |