UCLouvain: le chanoine Armand Beauduin nous répond (28/10/2023)

   A la suite de mon récent article "UCL: comment on dé-catholicise une université", le chanoine Armand Beauduin, directeur général émérite du Secrétariat général de l'enseignement catholique (SeGEC), nous a fait parvenir une réponse détaillée que Belgicatho publie bien volontiers. Elle est suivie de mes propres commentaires (P.V.).

La réponse du chanoine Beauduin

   Cher Monsieur Vaute,

   Belgicatho vient de se manifester à mon attention et me fait connaitre votre long examen du C de l’UCL et du K de la KUL.

   Vous me permettrez au tire des anciens contacts que j’ai entretenu avec vous au temps de mes débuts au SeGEC dans les années 90.

   Je fus concerné par le sujet pour le C du SeGEC et le C des écoles catholiques et ai été de loin associé au débat sur le C de l’UCL, une première fois auprès de Paul Löwenthal et du Groupe de réflexion qu’il avait constitué sur le sujet avec la participation de Philippe Van Parijs, une seconde fois en  2005 dans un débat radio de l’animateur de « Dieu dans tout ça ».

   Vous ne vous étonnerez pas que je me sois conduit au SeGEC et pour l’UCL, mon ancienne alma mater, pour le maintien du C. Je ne m’étais pas laissé convaincre par les arguments  d’un intervenant contra  de trois ordres, l’UCL perd de son crédit dans les universités américaines de son C, le C éloigne de la fréquentation de l’UCL  les non-catholiques, le grand nombre des membres du personnel  et des étudiants ne sont plus catholiques. Arguments d’opportunité, voire de marché, peu convaincants. Que la pluralité des convictions se soit introduite dans la fréquentation de l’UCL comme dans celle des écoles catholiques c’est une évidence et cela nous empêche pas de vouloir une école, sinon organisée par des catholiques, pour des catholiques uniquement. Mais cela ne doit pas nous empêcher de voir la tâche d’éducation que l’enseignement catholique exerce avec des institutions non confessionnelles, voire avec la profession d’un libre examen qui rejette la foi comme un obscurantisme, de mettre leur travail sous l’éclairage de la foi pascale, au centre de notre lecture des Ecritures bibliques, le Canon, ni de demander aux non-catholiques de la loyauté à l’égard des références de leur institution. Le profil de l'instituant n’est pas forcément le profil de l’institué. Ce qui au moins garantit que même si la foi y est interrogée comme l’est par la critique, elle peut au moins garder la faculté d’interroger, une vertu que lui reconnaissait Marcel Gauchet.

   Vous n’ignorez pas que le débat sur le C de l’UCL a été tranché par un référendum  en faveur du C. Vous y voyez de façon fort sévère et fort polémique une marque d’hypocrisie dont vous voulez la faire sortir, rejoignant ainsi le groupe qui voulait sa suppression et l’éviction de tout rapport avec la communauté de foi. Il vient d’être tranché à HeLMO sous la présidence de Bernard Feltz avec la publication à son initiative d’un texte destiné à l’enseignement catholique supérieur et de promotion sociale, intitulé « Mission de l’Ecole Chrétienne ». Je vous le recommande.

   Alors me permettrez-vous sur le propos de votre travail quelques questions ?

   - Faut-il, en ce qui regarde le SeGEC, que la décléricalisation de nos écoles, sans plus de prêtres, ni de religieux et de religieuses en raison de la crise des vocations, passe pour une déchristianisation ou mieux une dé-catholicisation des écoles ? Jadis interrogé sur le sujet par un journaliste, il m’avait semblé devoir répondre que pour faire une école catholique, il fallait certes des catholiques dans les instituants et dans l’institué, pas forcément des clercs  ou des religieux.

   - Faut-il que la fréquentation par le personnel et les étudiants soit homogène, sans pluralisme religieux et sans la pluralité que nous connaissons aujourd’hui autour de l’intelligence de la foi chrétienne, pour que l'école, l’université fussent catholiques ?

   - Ne  faut-il pas accepter que s’exprime un certain pluralisme des expressions de la foi chrétienne comme il s’est exprimé entre Orient et Occident, entre le tronc catholique et les Eglises de la Réforme, comme il s’est toujours exprimé dans l’histoire de l’Eglise au cours des siècles, entre Paul et les judéo-chrétiens, entre Paul et Jean, entre la théologie monastique et la théologie scolastique, entre écoles, franciscains ou dominicains, les jésuites et Blaise Pascal, etc…  Plus récemment, le ralliement à la démocratie après sa condamnation dans le Syllabus ? Il en va des décrets du Concile Vatican II sur la liberté religieuse, le dialogue œcuménique des confessions chrétiennes, le dialogue inter-religieux, le Verbe et les Semina Verbi. L’historien que vous êtes sait cela mieux que moi.

   - Ne faut-il pas accepter la dernière expression conciliaire du Magistère de l’Eglise au Concile Vatican II, le renouveau biblique et patristique du sens de l’Eglise (Lumen Gentium), la réforme liturgique (Sacrosanctum concilium) et le décret sur la liberté religieuse, qui n’efface ni la lex orandi, lex credendi mais qui lui donne de nouvelles opportunités de se déclarer ?

   - Ne  faut-il pas accepter  la démarche synodale, renouvelée sous l’autorité du Pape François, anticipée dans le Concile Vatican et les nouveaux modes de gouvernance qui en sont sortis, conseils presbytéraux, conseils pastoraux introduits dans la réforme du Droit Canon ? Comme la synodalité remonte plus loin dans l’Eglise primitive où l’Eglise universelle se concevait comme communion d’Eglises locales ? Ecclesia semper reformanda sous l’autorité du Christ et de l’Esprit saint ?

   - Ne faut-il pas accepter que l’Eglise ait enrichi au cours des huit premiers siècles dans les neuf premiers conciles sa compréhension de la foi apostolique, tradition vivante dans un processus d’interprétation qui ne doit rien abandonner du passé mais ne s’interdit pas de nouvelles expressions ? Comme bien exprimé dans la Commonitorium de Vincent de Lérins. Et que cette tradition vivante associe dans une même démarche les trois sensus, sensus Magisterii, sensus fidelium, sensus Theologorum. Non sans risque mais en vertu du don de l’Esprit dans le baptême et la confirmation ?

   - Enfin, ne faut-il pas accepter qu’il en aille autrement de la loi de l’Etat et de la morale chrétienne ?  Faute de quoi, prendre le risque de laisser considérer que tout ce qui est légal soit réputé moral et de dispenser l’Eglise de sa tâche d’éduquer la conscience morale, le dernier lieu selon Thomas d’Aquin du jugement sur le bien et le mal, fut-elle erronée  après avoir été éduquée ?  Ainsi qu’il en va dans une très ancienne tradition évangélique qui pour condamner le péché, sans condamner le pécheur. La doctrine morale n’est pas alors en cause, seulement la pratique pastorale de l’Eglise «hôpital de campagne», comme dit le Pape François, étant par ailleurs  entendu que la doctrine de salut est substantiellement une doctrine pastorale, celle du berger qui va à la recherche de la brebis perdue.

   On pourrait alors comprendre qu’une université catholique n’abandonne rien de la doctrine de l’Eglise comme elle interroge les consciences quand elle s’autorise des pratiques thérapeutiques autorisées par la loi et sollicitées par des patients selon leur propre jugement de conscience, sous réserve du jugement de conscience du traitant. Il restera à l’UCL qu’un droit de parole demeurera aux chrétiens qui n’est pas assuré de la même manière dans une université à l’enseigne du libre examen, encore que il lui serait utile de considérer, comme l’écrit J.M. Ferry, les «lumières de la religion».

CHANOINE ARMAND BEAUDUIN

Mon point de vue

   Le chanoine Beauduin nous a fait parvenir une très riche contribution à un débat qui demeure plus que jamais nécessaire et qui, tôt ou tard, rebondira à Louvain-la-Neuve ou ailleurs. Bon nombre des principes généraux qu'il évoque sont de ceux auxquels tout le monde ou presque souscrira. Mais encore faut-il s'entendre sur leur portée. A cet égard, les questions / objections ici posées appellent de ma part les précisions suivantes.

   Oui, une université ou une école catholiques peuvent exister sans prêtres ni religieuses ou religieux. Elles doivent, en outre, pouvoir accueillir des étudiants ou des élèves de toutes convictions ou absence de convictions, pour autant qu'ils soient informés des règles du jeu et les acceptent. La question se pose en revanche pour le corps enseignant. Si celui-ci est en majorité hostile ou indifférent, l'affirmation d'une identité chrétienne n'a plus beaucoup de sens.

   Oui, bien sûr, l'Eglise a toujours besoin d'être réformée. Et parfois aussi, il faut réformer les réformes…

   Oui encore, il y a dans l'Eglise un pluralisme légitime et il est logique que celui-ci caractérise aussi les institutions catholiques, universitaires notamment. Mais remarquons qu'il est appliqué à l'UCLouvain d'une singulière façon quand celle-ci évince un Stéphane Mercier! Plus fondamentalement, il y a une hiérarchie des vérités ("In necessariis, unitas; in dubiis, libertas; in omnibus, caritas"). Certaines énonciations peuvent perdre de leur pertinence parce que les données du contexte ont changé. Quand l'Eglise leva de facto son interdiction du prêt à intérêt au XIXe siècle, ce ne fut pas par un reniement de son propre enseignement. Comme l'observait Marcel De Corte, ce n'est pas la morale de l'Eglise qui avait changé, mais les conditions d'exercice de l'activité économique, de sorte que la nature même de l'usure s'en trouvait modifiée. Même entre contemporains, des points de vue différents peuvent se manifester. Jean-Paul II a fait glisser l'enseignement de l'Eglise vers un rejet de la peine de mort par principe, alors que les évêques de Belgique, dans leur Livre de la foi qui ne date que de 1987, admettaient que la peine capitale puisse être prononcée "dans un cas limite" (p. 189).

   Mais avec l'avortement on n'a plus affaire à un "dubiis". Il s'agit d'une position constante de l'Eglise depuis les tout premiers siècles jusqu'à nos jours. Et si quelque chose a changé depuis, c'est justement qu'on est beaucoup mieux informé aujourd'hui que dans l'Antiquité sur la vie prénatale. Une université qui ne rappelle pas à l'ordre son recteur quand celui-ci affirme que l'avortement est "un droit" et qui expulse un chargé de cours parce que celui-ci a enseigné en phase avec le magistère ne doit plus, à mon sens, se donner pour catholique.

   Sur un plan général, nul ne niera qu'au fil des siècles sont apparus de nouveaux développements, de nouvelles expressions enrichissant le dépôt de la foi. Mais il est permis à tout le moins de se méfier quand, de nos jours, on nous présente les résultats d'enquêtes sociologiques ou de sondages d'opinion comme étant "ce que l'Esprit dit à l'Eglise", et quand les remaniements proposés à des enseignements séculaires coïncident, par le plus grand des hasards, avec les positions dominantes des partis et des médias du monde occidental.

   Quant aux rapports entre le droit positif et la morale chrétienne (et naturelle), il va de soi que la première ne peut être un simple copier-coller de la seconde. Même dans le très catholique Portugal de Salazar, les époux pouvaient divorcer s'ils n'avaient été mariés que civilement. Mais ici aussi, il y a des degrés dans la gravité des enjeux. Ainsi le respect de la vie s'impose-t-il à tous, même dans une société pluraliste. Le droit inaliénable à la vie de tout individu humain, de la conception à la mort, doit être "un élément constitutif de la société civile et de sa législation". Il fait partie des droits inaliénables qui "devront être reconnus et respectés par la société civile et l'autorité politique" (Catéchisme de l'Eglise catholique, 2273). Il ne s'agit d'ailleurs pas d'une question confessionnelle. J'ai un peu connu le Dr Edmée Cabeaux, de l'ULB et non croyante, qui était résolument opposée à la légalisation de l'avortement. Le Dr Bernard Nathanson, dont le film  montrant la réalité d'une "IVG" grâce à l'écographie a fait le tour du monde, était un Juif agnostique. On peut trouver d'autres exemples, même s'il faut bien chercher, hélas!

   Evidemment, la question d'une abrogation ou d'une restriction de nos lois anti-éthiques ne se pose pas dans l'état actuel des rapports de forces politiques. Mais pour que l'Eglise soit épaulée dans "sa tâche d'éduquer la conscience morale", il faudrait au moins que les instances politiques, culturelles, sociales et aussi universitaires censées relever du pilier chrétien ne campent pas sur les positions du camp opposé !

   Les nombreux écarts ici rappelés, ajoutés à d'autres (le rejet de Donum vitae, les engagements communistes de certains professeurs, la volonté d'exercer un contre-magistère affirmée par un Michel Molitor qui compte dans l'institution…), me convainquent que le "C" n'est plus qu'un atavisme ou un leurre. Je rappelle le propos du cardinal Danneels disant, après avoir passé en revue et éliminé toutes les autres raisons, qu'être une université catholique, c'est être "un lieu où l'on peut poser la question du pourquoi". La question du pourquoi, on peut la poser partout, même à l'ULB! Etre catholique, cela ne se limite pas à poser une question. C'est apporter, proposer des réponses. Comme le rappelait Mgr Léonard, quand il était encore professeur, à ses collègues, la foi "est aussi connaissance et affirmation certaines".

   S'agissant enfin des autres niveaux d'enseignement (fondamental, secondaire…), il est bien clair que les mêmes questions peuvent être posées. Mais ce serait en soi le sujet d'une autre étude, d'ailleurs plus complexe puisqu'il s'agit d'une multitude d'établissements entre lesquels peuvent exister de grandes différences.

PAUL VAUTE

15:07 | Lien permanent | Commentaires (10) |  Facebook | |  Imprimer |