[…] dans la situation actuelle, une compréhension plus approfondie du Ministerium Petrinum est nécessaire en premier lieu.

Puisque l’Église – et donc la papauté – sont des réalités à la fois humaines et terrestres et transcendantes et divines, elles ne peuvent pas être comprises simplement au moyen de catégories humaines et terrestres, mais par analogie, et doivent être évaluées selon des critères correspondants. C’est précisément sur la base de cette hypothèse que doit être évaluée la relation entre la primauté de Rome et l’Église universelle, entre le centre et la périphérie.

Ainsi, la question de la corrélation réciproque entre le pape et l’Église se pose tout d’abord.

Il faut souligner avec force que le Pape n’est en aucun cas au-dessus ou en avance sur l’Église. En tant que chef visible de celle-ci, il est et reste membre de l’Église, envers laquelle il a des devoirs de Servus servorum, c’est-à-dire de serviteur suprême.

Cela signifie, entre autres, que le pape ne doit pas et ne peut pas régner comme un monarque absolu. Dans ses actes, il est lié non seulement par les normes du ius naturale et du ius divinum révélés, mais aussi, d’une manière différente, par le ius canonicum.

Le pape n’est pas sic et simpliciter au-dessus des canons. Il y a une limite à son action lorsqu’il s’agit du “generalis status ecclesiae”, c’est-à-dire du noyau fondamental de la doctrine et de la constitution de l’Église. C’est la norme pour toute la législation ecclésiastique, “puisqu’elle exprime le continuum de la vérité révélée, manifestée dans l’Église et qui s’impose à tout chrétien” (cf. Chr. Voigt-Goy, Potestas et ministerium publicum, Tübingen 2014).

C’est donc la mesure de la législation et de l’exercice du ministère pastoral dans l’Église. Le Decretum Gratiani s’appuie sur l’apôtre Paul qui, dans sa deuxième épître aux Corinthiens (13.10), déclare avoir écrit cette épître “durius agam secundum potestatem quam Dominus dedit mihi in aedificationem et non in destructionem” [“afin de ne pas être obligé d’être brutal quand je suis présent, avec l’autorité que le Seigneur m’a donnée pour édifier et non pour détruire”]. Cette deuxième partie du verset s’applique également à la législation et à l’administration de la justice dans l’Église.

Ses paroles, souvent citées dans le droit canonique médiéval, indiquent une limite essentielle à l’exercice du ministère dans l’Église. Il en va de même pour les droits légitimement acquis par des tiers, que le pape, en tant que gardien suprême de la loi, ne peut violer.

En bref : même le pape, lorsqu’il ne respecte pas la loi, peut être un criminel. Toutefois, dans ce cas, il ne serait pas possible de le poursuivre en justice, car depuis le IVe siècle, la règle “Prima Sedes a nemine iudicatur” s’applique. Néanmoins, le droit et le devoir de correctio fraterna demeurent, le jugement final demeure. Cependant, l’abus de pouvoir d’un pape ne peut servir de base au devoir d’obéissance.

Par conséquent, le pape, malgré sa plenitudo potestatis, n’est en aucun cas un princeps legibus solutus. Si, dans un cas particulier, il voulait agir contrairement à la loi, il aurait besoin d’une raison juste et raisonnable. À cela correspond un devoir d’obéissance gradué de la part des membres de l’Église, qui, cependant, même face à la loi, doivent en fin de compte répondre à leur conscience.

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Le culte du pape qui s’est développé après le voyage en exil de Pie VI doit également être considéré sous cet angle. Pour les Français, il s’agissait d’une occasion sans précédent de rencontrer personnellement le pape. Ce voyage peut être considéré comme la naissance de l’ultramontanisme français et, plus tard, européen. Deux livres y ont contribué. Le Triomphe du Saint-Siège et de l’Église, de Mauro Capellari, et Le Pape, de Maistre, sont devenus des best-sellers. La stature personnelle particulière des papes successifs a également contribué à l’enthousiasme ultramontain.

Plus tard, les vives controverses autour du Concile Vatican I ont donné lieu à des représentations grotesques du rôle du pape. Dans ce contexte, les réserves de l’opposition conciliaire quant à la définition des dogmes pontificaux doivent également être appréciées, surtout à la lumière des expériences actuelles.

Aujourd’hui encore, il appartient donc à la théologie de déterminer l’unité harmonieuse du ius divinum de la primauté pétrinienne avec celui de l’épiscopat. Mais il semble que la difficulté de trouver une solution soit due au fait que l’Église est “un mystère de foi”.

Dans l’interprétation du Pastor aeternus, il faut donc tenir compte du contexte ecclésiologique général, c’est-à-dire du fait que le ministère épiscopal, comme la primauté de Pierre, est iuris divini. La nomination d’un évêque par le pape n’est que l’attribution du diocèse, et non l’octroi du pouvoir d’enseignement et de pastorale, qui s’opère par le sacrement de l’ordre.

L’augmentation du nombre de révocations d’évêques par ordre du mufti ces derniers temps doit être considérée sous cet angle. Même les papes peuvent commettre des abus de pouvoir.

À la lumière de ces vérités, nous devons éviter un culte excessif de la personne du pape et, en même temps, vénérer son autorité suprême en tant que maître et pasteur de l’Église universelle.

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Il semble opportun de le rappeler en vue d’un prochain conclave, car le choix des candidats devrait se faire à la lumière de ces réflexions fondamentales. L’occasion de le faire est offerte par les consistoires pré-conclaves.

En revanche, il appartiendra au conclave d’élire un pape conscient de son mandat apostolique, y compris de ses limites, ainsi que de son devoir de préserver le status generalis ecclesiae.