"Pourquoi nous demandons instamment aux évêques et aux prêtres de ne pas autoriser ou fournir les bénédictions" (16/01/2024)

De John Finnis, Peter Ryan et Robert P. George sur First Things :

L'ÉGLISE SÈME ENCORE PLUS DE CONFUSION SUR LES BÉNÉDICTIONS POUR LES PERSONNES DE MÊME SEXE

15 janvier 24

Le 18 décembre, le Dicastère du Saint-Siège pour la doctrine de la foi (DDF) a publié Fiducia Supplicans. Cette déclaration stipule que les prêtres peuvent bénir spontanément les couples en situation "irrégulière" - par exemple les couples "remariés" ou les couples de même sexe - dans certaines limites. Ces limites étaient censées protéger le témoignage de l'Église sur ses enseignements en matière d'éthique sexuelle et de mariage, des vérités connues par la raison et la révélation divine. Pourtant, de nombreux évêques et conférences épiscopales ont exprimé leur inquiétude quant au fait que de telles bénédictions pourraient entraver ce témoignage, en sapant les enseignements de l'Église selon lesquels (1) le mariage est l'union indissoluble d'un mari et d'une femme et (2) tous les actes sexuels non-maritaux sont gravement pécheurs.

En réponse, le DDF a publié un communiqué de presse qui tente de clarifier Fiducia Supplicans. Mais ce communiqué de presse est tout à fait insuffisant. Le fait d'en tenir compte ne permettra pas d'éviter les graves dommages que le DDF dit avoir espéré éviter. Les douze paragraphes ci-dessous expliquent pourquoi nous demandons instamment aux évêques et aux prêtres de ne pas autoriser ou fournir les bénédictions en question : les circonstances dans lesquelles elles éviteront de causer de graves dommages sont rares, voire pratiquement inexistantes - du moins dans l'ensemble des conditions que nous allons mentionner. 

1. A une exception mineure près, discutée ci-dessous, le communiqué de presse ne fait qu'accentuer les aspects de la Fiducia Supplicans qui en font un obstacle à la transmission, à la défense et à la mise en pratique de l'enseignement de l'Evangile sur la morale sexuelle.

2. Le communiqué de presse insiste sur le fait que Fiducia Supplicans, en tant que Déclaration, "est bien plus qu'un responsum ou une lettre". Mais les deux documents négligent un enseignement évangélique d'une importance capitale qui a été réaffirmé dans une déclaration précédente du même dicastère, Persona Humana (29 décembre 1975) : 

3. "L'observation de la loi morale dans le domaine de la sexualité et la pratique de la chasteté ont été considérablement mises en danger, surtout parmi les chrétiens les moins fervents, par la tendance actuelle à minimiser autant que possible, quand ce n'est pas à nier carrément, la réalité du péché grave, au moins dans la vie réelle des gens. . . .

Une personne (...) commet un péché mortel non seulement lorsque son action provient d'un mépris direct de l'amour de Dieu et du prochain, mais aussi lorsqu'elle choisit consciemment et librement, pour quelque raison que ce soit, une chose qui est gravement désordonnée. En effet, dans ce choix [...] est déjà inclus le mépris du commandement divin : la personne se détourne de Dieu et perd la charité.  Or, selon la tradition chrétienne et l'enseignement de l'Église, et comme le reconnaît aussi la droite raison, l'ordre moral de la sexualité implique des valeurs si élevées pour la vie humaine que toute violation directe de cet ordre est objectivement grave. . .

Les pasteurs d'âmes doivent donc faire preuve de patience et de bonté ; mais il ne leur est pas permis de rendre caducs les commandements de Dieu, ni de réduire déraisonnablement la responsabilité des personnes. "Ne diminuer en rien l'enseignement salvateur du Christ constitue une forme éminente de charité envers les âmes. Mais celle-ci doit toujours s'accompagner de patience et de bonté, comme le Seigneur lui-même en a donné l'exemple dans ses rapports avec les hommes. Venu non pour condamner mais pour sauver, il s'est montré intransigeant avec le mal, mais miséricordieux envers les personnes.

Comme Fiducia Supplicans, le communiqué de presse évite scrupuleusement d'utiliser le mot "péché", et encore moins "péché grave" ou "péché mortel", lorsqu'il est question d'"unions irrégulières". Le communiqué de presse ne mentionne le péché que lorsqu'il fait référence à la demande de bénédiction que toute personne peut faire. Ces références suggèrent, sinon affirment, qu'il n'y a pas de différence morale ou pastorale cruciale entre (a) bénir des personnes qui se trouvent être des pécheurs, et (b) bénir des personnes en tant que parties à une relation exprimée par des actes pécheurs. L'Église n'a jamais autorisé une bénédiction sous une description qui identifie les bénéficiaires par référence à leur péché (par exemple, une bénédiction pour les pornographes en tant que tels). 

4. Le communiqué de presse (comme Fiducia Supplicans) ignore donc ce que Persona Humana avait mis au centre de ses préoccupations : la doctrine chrétienne en matière d'éthique sexuelle est confrontée à des menaces sans précédent à notre époque. Persona Humana a noté (1) la disparition des normes juridiques, sociales et culturelles qui soutenaient autrefois cette doctrine ; (2) l'émergence de normes qui la minent parmi les fidèles, leurs enfants et tous ceux qu'ils pourraient évangéliser ; et (3) la diffusion au sein de l'Église d'opinions théologiques et de pratiques pastorales qui défient cette doctrine. Ces menaces sont beaucoup plus intenses aujourd'hui. Et on peut y ajouter un facteur dont Persona Humana n'avait pas idée : (4) les faveurs et les nominations par le Saint-Siège de personnes qui, dans l'Église, sont notoirement connues pour leur rejet ouvert ou insinué de cette doctrine.

5. Dans ces circonstances, de nombreux lecteurs de Fiducia Supplicans ont pensé que, dans la vie réelle, il serait imprudent d'essayer d'établir, et impossible de maintenir, la distinction sur laquelle repose la Déclaration : entre (a) la bénédiction des relations de péché et (b) la bénédiction des "couples" dans de telles relations. Ou du moins, beaucoup ont douté que les couples ou les spectateurs puissent réellement faire et apprécier cette distinction à moins que les évêques qui approuvent (ou les prêtres qui offrent) de telles bénédictions ne posent plusieurs conditions :

De telles conditions seraient pleinement soutenues par le raisonnement de Fiducia Supplicans, même si la Déclaration elle-même peut être lue comme demandant aux pasteurs de ne pas poser de conditions. Sans de telles conditions, les bénédictions en question scandaliseraient avant tout les couples qui les recherchent et qui ont le plus besoin d'une catéchèse sur les vérités mêmes qui sont obscurcies par ces bénédictions. Renoncer à des conditions comme celles qui précèdent est donc un acte de grave irresponsabilité pastorale.

6. En s'opposant à de telles conditions, le communiqué de presse parle comme si la simple intention du ministre (ou du DDF) de ne pas envoyer un message d'approbation empêcherait un tel message d'être reçu par d'autres : Parce que la " forme non ritualisée de bénédiction " de la représentation idéalisée du DDF (§5.2), avec sa " simplicité et sa brièveté ", " n'a pas l'intention de justifier quoi que ce soit qui ne soit pas moralement acceptable " et est " uniquement la réponse d'un pasteur à deux personnes qui demandent l'aide de Dieu ", par conséquent, " le pasteur n'impose pas de conditions. . . ."

7. En rejetant les conditions qui pourraient faire de cette représentation une réalité, le communiqué de presse garantit pratiquement que les gens ne verront pas la distinction entre la bénédiction des couples et la bénédiction de leurs unions pécheresses. Pourtant, cette distinction est manifestement cruciale pour la Déclaration, sans parler du Responsum 2021 (que la Déclaration prétend laisser intact) affirmant que l'Église ne peut pas bénir les unions homosexuelles et autres unions pécheresses. 

8. La seule exception à l'accentuation par le communiqué de presse des aspects problématiques de la Fiducia Supplicans est sa déclaration selon laquelle "la bénédiction ne doit pas avoir lieu dans un endroit proéminent d'un bâtiment sacré, ou devant un autel, car cela aussi [c'est-à-dire comme toute ressemblance avec les cérémonies de mariage] créerait de la confusion". Mais cette condition, elle aussi, ne tient même pas compte des circonstances réelles qui saperont puissamment toute tentative de distinguer la bénédiction des personnes de la bénédiction de leurs unions ouvertement immorales.  

9. Ces circonstances sont notamment les suivantes : Le DDF néglige ou refuse d'insister sur le fait que le couple et le ministre désavouent expressément toute intention ou espoir que la bénédiction légitime de quelque manière que ce soit la relation sexuelle. Le DDF ne tient pas non plus compte du fait que des événements qui ne se déroulent pas dans un "endroit bien en vue d'un bâtiment sacré" peuvent néanmoins avoir lieu dans un bâtiment sacré, et que ce qui se passe "en privé" peut être photographié ou enregistré et faire l'objet d'une large diffusion. Le DDF dit et répète que les bénédictions en question seront "spontanées" ; il n'aborde pas les innombrables cas dans lesquels elles seront planifiées à l'avance. Et son communiqué de presse reste ostensiblement silencieux sur la réponse à la Déclaration par le clergé qui a déjà sapé de manière éclatante sa distinction entre la bénédiction de couples et la bénédiction d'unions.  Il s'agit notamment d'ecclésiastiques qui ont organisé une publicité photographique mondiale pour leur bénédiction d'un couple de même sexe dans des circonstances qui suppriment la distinction - par exemple, lorsque le ministre porte une étole arc-en-ciel ou que le couple se tient romantiquement par la main.

10. En essayant d'apaiser les inquiétudes des évêques, le communiqué de presse ne prend en compte qu'un seul des nombreux scénarios dans lesquels une bénédiction peut être demandée. Il s'agit en outre d'un exemple très éloigné des cas concrets envisagés par ceux qui ont pressé l'Église de mettre à disposition de nouvelles bénédictions. Dans "l'exemple concret" considéré (§ 5), rien dans le couple n'indique aux spectateurs (présents ou sur les médias sociaux) que la relation est "irrégulière" ou immorale, et le couple ne laisse même pas entendre qu'il cherche une bénédiction de son partenariat sexuel (par opposition à l'aide de Dieu pour trouver du travail et surmonter la maladie, etc.) Les cas réels, en revanche, concernent essentiellement des couples dont le comportement ou d'autres circonstances rendent évidente leur relation sexuelle et, dans le cas des couples de même sexe, une relation identifiable comme immorale en raison de l'impossibilité évidente pour la relation sexuelle d'être maritale.

11. Le communiqué de presse demande aux évêques et aux conférences épiscopales (après réflexion) d'ajouter leur autorisation à celle donnée par le DDF, sans poser d'autres conditions. Or, les quelques conditions autorisées par le DDF ne visent qu'à éviter la confusion avec les mariages. Ces conditions ne sont pas conçues pour maintenir la distinction entre la bénédiction des personnes et la bénédiction des actes de péché auxquels elles se présentent comme étant prêtes à s'engager. Le communiqué de presse n'exige pas non plus que les évêques et les pasteurs cessent de suggérer (ou d'exprimer l'espoir) que la Déclaration marque une étape vers l'approbation morale par l'Église des relations sexuelles entre personnes de même sexe et d'autres relations sexuelles non maritales. Cela aussi porte gravement atteinte à la distinction affirmée par Fiducia Supplicans.  

12. Tous ces silences et complaisances, sans nier la doctrine catholique sur l'activité sexuelle, tendent à suggérer que cette doctrine n'a pas beaucoup d'importance. Ils suggèrent qu'il s'agit tout au plus d'une question d'idéaux, plutôt que d'absolus moraux connaissables par la raison et confirmés par la révélation divine. Mais la vraie miséricorde et l'éminente charité prônée par Persona Humana - la charité qui ne diminue jamais l'enseignement salvateur du Christ - exigent des pasteurs qu'ils enseignent sans détour ce que saint Paul a enseigné (voir 1 Cor. 6:9-11) : Pour trouver le salut, une personne doit s'en tenir à la sanctification reçue au baptême en évitant ou en se repentant de tous les péchés graves, y compris les péchés sexuels. La vérité en jeu, que les pasteurs ont la grave responsabilité de communiquer, est que les actes sexuels sont gravement immoraux à moins qu'ils n'expriment et n'actualisent une union maritale engagée et exclusive, le genre d'union dans laquelle de nouveaux êtres humains ont le droit de naître et d'être élevés.

13. En recommandant une pratique qui, sans toutes les conditions requises, obscurcira cette vérité de la foi et de la raison, la paire de documents du DDF crée un nouvel obstacle important à l'accomplissement d'une responsabilité pastorale qui est aussi un impératif de l'évangélisation.

John Finnis est professeur émérite de droit et de philosophie juridique à l'université d'Oxford et a fait partie de la Commission théologique internationale du Dicastère (puis de la Congrégation) pour la doctrine de la foi de 1986 à 1991.

Robert P. George est professeur de jurisprudence McCormick à l'université de Princeton.

Peter Ryan, S.J. est titulaire de la chaire Blessed Michael J. McGivney d'éthique de la vie au Sacred Heart Major Seminary et a été directeur exécutif du Secrétariat de la doctrine et des affaires canoniques de la Conférence des évêques catholiques des États-Unis de 2013 à 2016.

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