De François ou de Mgr Gänswein, qui faut-il croire ? (03/04/2024)

De Nico Spuntoni sur la Nuova Bussola Quotidiana :

La revanche de François sur Gänswein est pleine d'inexactitudes

Dans son livre, le pape revient sur ses relations avec son prédécesseur, contre le secrétaire de Ratzinger qui avait nié la "légende" de l'harmonie entre les deux papes. Il s'exprime aussi sur le conclave de 2005, mais les témoignages ne concordent pas.

3 avril 2024

Tout en appelant à la paix pour le monde, François ouvre de nouveaux fronts de guerre dans l'Église. Il l'a fait avec des déclarations accordées au journaliste espagnol Javier Martinez-Brocal dans le livre-interview 'El sucesor'. Dans les avant-premières diffusées ces heures-ci, le pape s'est exprimé sur la relation avec Benoît XVI sans épargner les critiques sévères à l'égard de Monseigneur Georg Gänswein.

On peut reprocher au fidèle secrétaire privé de Ratzinger d'avoir réfuté une fois pour toutes dans son livre 'Rien que la vérité' le récit d'une cohabitation harmonieuse entre le pontife régnant et son prédécesseur retiré au monastère Mater Ecclesiae. Commentant le contenu du livre écrit à quatre mains par Gänswein avec le journaliste Saverio Gaeta, Bergoglio a d'une part affiché sa supériorité en affirmant que "bien sûr, cela ne m'affecte pas, dans le sens où cela ne me conditionne pas", tandis que d'autre part il a exprimé toute sa colère parce que ce livre "le mettrait sens dessus dessous, en racontant des choses qui ne sont pas vraies".

'Rien que la vérité' a dévoilé le contexte dans lequel Mgr Gänswein a été limogé en 2020 de son poste de préfet de la Maison pontificale, prétendument pour ne pas avoir empêché Benoît XVI de publier un texte de défense du sacerdoce dans le désormais célèbre 'From the Depths of Our Heart' (Cantagalli publisher) écrit par le cardinal Robert Sarah peu après le Synode sur l'Amazonie. Mgr Gänswein a raconté que le pape n'avait pas écouté la demande de son prédécesseur de le réintégrer en tant que préfet de la Maison pontificale. Les faits confirment que Gänswein, après l'éclatement de l'affaire Sarah, n'est plus revenu aux côtés du pape régnant lors des audiences publiques, tout en conservant formellement son poste.

Toujours à l'encontre de l'archevêque allemand, François a déclaré à Martinez-Brocal qu'il avait "vécu comme un manque de noblesse et d'humanité" la diffusion en avant-première de Rien que la vérité le jour des funérailles.

Au-delà de la critique elle-même, il ne faut pas cacher la stupéfaction de ceux qui n'oublient pas l'attitude de François pendant les jours d'exposition et d'enterrement de son prédécesseur. Il ne s'est pas rendu à la basilique Saint-Pierre pour prier devant le corps, il s'est entêté à confirmer l'audience générale du mercredi dans la salle Paul VI malgré les conseils des cardinaux et des collaborateurs qui ont à peine réussi à le convaincre de reporter les funérailles de quelques jours pour permettre aux cardinaux du monde entier d'arriver à Rome à temps. Tout le monde se souvient alors de l'homélie courte et dépersonnalisée ainsi que de la précipitation du Pape lors des funérailles.

Au-delà du jugement sur les questions doctrinales et pastorales du pontificat en cours, c'est à ce moment-là qu'est apparue cette composante du caractère qui a souvent conduit François à prendre des décisions amèrement incompréhensibles au cours de ces onze années. L'expulsion de Mgr Gänswein du Vatican un mois plus tard, sans autre affectation, a clos le tableau.

Depuis quelque temps, au mépris de l'évidence et parfois du ridicule, certains ont dû conseiller au pape de présenter un récit très différent de sa relation avec Ratzinger, en distinguant ce dernier des "ratzingeriens" qui l'auraient utilisé contre lui. Même Mgr Gänswein, l'homme qui a été à ses côtés jusqu'à la fin et qui a été son exécuteur testamentaire, s'est retrouvé dans ce cercle. Dans le livre d'entretiens 'El sucesor', cette volonté de présenter une relation probablement différente de la réalité est peut-être à l'origine des quelques contradictions de l'interviewé. François n'a pas hésité à rendre public son récit du conclave de 2005.

L'image d'un pape qui entreprend de révéler les détails des deux derniers conclaves - d'ailleurs l'un de ses sujets de prédilection auprès des journalistes et des biographes - en vertu de sa qualité de 'legibus solutus' (affranchi des lois) n'est en soi guère rassurante. Pire encore si ces prétendues révélations entrent en conflit avec des informations existantes et des déclarations faites antérieurement par lui-même.

Bergoglio a affirmé qu'il avait été "utilisé" par les cardinaux qui voulaient bloquer l'élection du favori Ratzinger après la mort de Jean-Paul II, et qu'il avait favorisé ce dernier en se retirant après avoir recueilli 40 préférences. Grâce au récit détaillé du conclave d'il y a 19 ans publié dans 'Limes' par le vaticaniste Lucio Brunelli - un admirateur de Bergoglio et l'un des rares à avoir prédit son élection en 2013 - nous savons que le cardinal argentin de l'époque a effectivement recueilli 40 voix lors du troisième tour de scrutin. Le pape a dit à Martinez-Brocal que "s'ils avaient continué à voter pour moi, [Ratzinger] n'aurait pas pu atteindre les deux tiers nécessaires pour être élu pape". À ce moment-là, selon sa version, l'Argentin aurait dit au cardinal Darío Castrillón Hoyos : "Ne plaisantez pas avec ma candidature, parce que maintenant je dis que je n'accepterai pas, hein ? Laissez-moi ici". Et c'est là que Benoît a été élu". Ainsi, selon le souverain pontife, son retrait aurait été décisif pour débloquer la situation et permettre l'élection de Ratzinger.

Mais cette version soulève plus d'un doute. En effet, selon le journal du cardinal anonyme publié par Brunelli, il semblerait qu'au quatrième tour de scrutin les voix pour Bergoglio ne soient pas tombées à zéro, comme un retrait " annoncé " du candidat aurait pu le laisser penser, mais qu'elles soient tombées à 26 préférences, les restantes allant au favori allemand qui est ainsi devenu pape. Qu'autour de Bergoglio il y ait eu une réelle candidature dès 2005 et que sa défaite n'ait pas été l'effet d'un retrait volontaire semble être attesté par le commentaire amer du cardinal belge, son soutien, Godfried Danneels au quotidien flamand De Morgen auquel il a déclaré que le conclave avait "montré que ce n'était pas encore le moment d'avoir un pape latino-américain". De plus, il semble très improbable que le cardinal Castrillón Hoyos, l'un des membres les plus conservateurs de tout le collège et ensuite bras droit de Benoît XVI dans le dialogue avec la Fraternité Saint-Pie X, puisse être considéré comme un porte-drapeau de la faction anti-Ratzinger.

Une autre inexactitude est celle concernant les "deux tiers des voix nécessaires pour être élu" que l'Allemand n'aurait pas obtenus si Bergoglio ne s'était pas retiré. En effet, la constitution apostolique 'Universi Dominici Gregis' en vigueur depuis 1996 avait supprimé le quorum de la majorité des deux tiers (rétabli par Benoît en 2007) : ainsi, si les anti-Ratzingue avaient résisté, il aurait suffi à ses partisans d'aller jusqu'au 34e tour de scrutin pour l'emporter à la majorité absolue. Le pape a 87 ans et près de vingt ans se sont écoulés depuis ce conclave, la mémoire lui a peut-être joué un tour. 

Une autre anticipation du livre 'El sucesor' destinée à faire débat est celle concernant la défense que Benoît XVI, aujourd'hui émérite, aurait faite de son successeur auprès de certains cardinaux qui s'étaient plaints auprès de lui des déclarations bergogliennes sur les unions civiles. Voici les paroles du pape : "J'ai eu une conversation très agréable avec lui lorsque certains cardinaux sont allés le rencontrer, surpris par mes paroles sur le mariage, et il a été très clair avec eux, il les a aidés à faire la part des choses (...) il m'a donc défendu". L'allusion est probablement faite à la controverse déclenchée par un extrait d'interview diffusé dans un documentaire du réalisateur Evgeny Afineevsky dans lequel le souverain pontife s'ouvrait à une loi sur les unions civiles. Le fait que Benoît, âgé et désormais émérite, soit d'accord avec son successeur et que les cardinaux qui lui rendent visite se plaignent auprès de lui semble presque un topo que François a déjà utilisé, par exemple lors du vol de retour d'Arménie, en répondant à une question de la journaliste Elisabetta Piqué.  Le voyage apostolique, cependant, remonte à 2016, soit 4 ans avant le blizzard sur les mots du documentaire. Le pape émérite a-t-il expulsé plus d'une fois les cardinaux "critiques" de la Mater Ecclesiae afin de défendre son successeur, ou est-ce plutôt un artifice narratif (...).  Comment le souverain pontife connaît-il le contenu de ces prétendues conversations de Benoît XVI avec certains cardinaux ? Le fait d'évoquer une conversation "très agréable" qu'il aurait eue avec lui à l'époque de ce prétendu épisode semble faire allusion au fait que c'est Benoît XVI lui-même qui le lui aurait dit.

Difficile à imaginer puisque, pour autant que l'on sache, Ratzinger n'a cessé, lors de son passage au monastère Mater Ecclesiae, de rencontrer et d'écouter les cardinaux les plus mal à l'aise avec l'actuel pontificat. En tout cas, en ce qui concerne les lois sur les unions civiles, plus d'un épisode a rapporté de relato, plus d'un an après la mort de la personne concernée, ce que Joseph Ratzinger a écrit en 2003 dans un document officiel de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi - les Considérations sur les projets de reconnaissance légale des unions entre personnes homosexuelles - où il est dit que "l'on doit s'abstenir de tout type de coopération formelle à la promulgation ou à l'application de lois si gravement injustes ainsi que, dans la mesure du possible, de toute coopération matérielle sur le plan de l'application".

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