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Laudato Si, un douloureux éblouissement

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Laudato Si’: un douloureux éblouissement 

 

Pour Famille Chrétienne, Tugdual Derville partage ses premières impressions à la lecture de l’Encyclique du pape François, Laudato Si’: 

 

La nouvelle encyclique du pape François est douloureusement éblouissante. Pas étonnant qu’elle fasse du bruit, mais aussi qu’elle dérange, car chacun est convoqué à prendre sa part de responsabilité. Surtout en Occident. Laudato Si s’inscrit dans la tradition des encycliques majeures qui ont construit la doctrine sociale de l’Église catholique : concrètes, réactives et prophétiques. Elles sont toujours publiées en écho aux grandes mutations de l’humanité. Mais cette fois, nous sommes plus que jamais au pied du mur : il s’agit d’embrasser dans un même mouvement l’avenir de la planète et celui de la communauté des hommes. Leur maison Terre est en feu. Ils doivent s’emparer de son destin, pour que le leur continue.

En décrivant d’abord l’ampleur de cette crise écologique – en quelque soixante articles presque dénués de références spirituelles – le pape François assume son intention de parler urbi et orbi, c’est-à-dire au monde entier, en commençant par rejoindre ses chères « périphéries ». Pour certains lecteurs qui seraient jusqu’ici passés à côté des grands débats environnementaux, ce premier chapitre constituera un manuel de rattrapage. Les chrétiens français ne sont-ils pas nombreux à s’être détournés de l’écologie, effarés par l’incohérence anthropologique de l’écologie partisane ?

Option préférentielle pour les pauvres oblige, il s’agit toujours pour l’Église de prendre le parti des plus fragiles. Mais qui sont les exclus de la crise écologique ? En 1891, en réponse à la révolution industrielle, Rerum novarum proposait d’humaniser la terrible condition des ouvriers. En 1995, face aux conséquences de la révolution des mœurs, Evangelium vitae prenait la défense des vies humaines menacées par dizaines de millions, au cœur même des familles. Vingt ans plus tard, Laudato Si rapproche deux catégories de personnes humaines désormais victimes de nos nouvelles errances : les milliards de pauvres d’aujourd’hui et les générations futures. S’ils ont tous des droits, c’est que les riches, qui gaspillent les ressources communes, ont déjà une dette à leur égard !

Mais l’homme du Sud qui tient aujourd’hui la barque de Pierre rappelle que tous les membres de la famille humaine sont désormais dans le même bateau. La dégradation visible et invisible de la planète menace jusqu’à sa survie. Il est temps de regarder les choses en face et d’organiser le sauvetage, au plan mondial.

Animé par un sentiment d’urgence, le pape François ne s’attarde pas sur la forme. Il ne prend pas de pincettes. Les cercles vicieux qui détruisent la création sont passés à la moulinette. Notamment au travers des dysfonctionnements technologique (paradigme technocratique), économique (croyance magique dans le marché) et politique (irresponsable court-termisme). Certes, son discours est très écologiste, mais pas seulement : en mettant à jour les racines du mal, le pape va beaucoup plus loin… Il appelle chacun à la cohérence intégrale, en tous domaines. Gare, donc, à la tentation de tirer à soi la couverture papale pour brandir la petite phrase qui nous arrange tout en occultant le paragraphe qui nous ferait bouger…

Mais avant d’exhorter à la conversion écologique, avant de saluer et d’encourager des initiatives personnelles, communautaires, nationales et supranationales, il faut établir le constat, sévère, d’une catastrophe annoncée au futur.

Deux formules reviennent au fil des pages, comme un refrain : « Tout se tient » et « Tout est lié ». Elles illustrent l’ambition d’un texte qui ne cantonne pas l’écologie humaine à la nature, mais situe de multiples maux dans une même perspective : pollution, déforestation, réchauffement climatique, montée des océans, difficulté d’accès à l’eau, gaspillages, avidité, surconsommation, frénésie de nouveauté, culte de l’immédiateté, idolâtrie du marché, hégémonisme culturel, gigantisme des villes, soumission des mœurs à la technologie, abus de la propriété privée, déséquilibre dans la répartition des richesses, mythe malthusien, atteintes à la vie, déni de l’altérité sexuelle, extinction d’espèces animales mais aussi de cultures humaines, fractures entre les générations, défaut de gouvernance mondiale…

Si le pape lance quelques piques contre un certain discours vert superficiel, c’est pour valider la notion d’écologie intégrale. La crise écologique est une occasion de revenir aux sources de notre anthropologie. Seul un homme épris de gratitude et de gratuité peut protéger la Création. Pour le pape, la désertification est aussi intérieure à l’homme : sa compulsion à consommer toujours plus, au prix d’une insatisfaction existentielle noyée dans l’activité trépidante, aboutit à la vacuité de sa vie.

Contemplation, admiration, communauté… En listant les clés rafraîchissantes propres à nous sortir de l’impasse, le pape François nous aide à prendre de la hauteur, et nous donne des forces pour changer. Nul esprit de fatalité dans ces pages, mais une solide confiance dans la créativité de l’amour. L’humanité confrontée aux limites de sa maison commune est capable d’intérioriser les exigences d’une fraternité universelle. Dieu aidant. C’est là que se situe toute la différence entre cette encyclique et les alertes désespérées qui risquent de tétaniser plus que de mobiliser. C’est à partir de l’émerveillement pour la beauté de la création, en puisant ses forces dans la transcendance, et dans le Christ qui récapitule toute la Création, que sera trouvé le ressort du changement. Il est spirituel. Ce supplément d’âme est indispensable pour accueillir joyeusement la perspective d’une sobriété heureuse et partagée.

Au-delà du bouillonnement des réactions superficielles, gageons qu’il y aura un temps pour assimiler l’encyclique et s’en imprégner, et un autre pour la mettre en œuvre… Pour sauver la maison commune, le pape plaide finalement en faveur d’une écologie du sens, et du silence habité, autant qu’à un engagement militant pour la planète et pour l’homme.

Tugdual Derville.

Commentaires

  • Quoi qu’aient écrit Esaïe et Virgile, ou les millénaristes de toutes les époques, le paradis terrestre est un mythe, où qu’on le situe dans le temps. Il n’a jamais existé ni n’existera dans ce monde soumis à la corruption et à la vanité par le péché des origines. Comme science ou philosophie, l’écologie a donc ses limites. Seule la charité, qui est l’autre nom de l’amour, le regard aimant porté sur l’autre, lui donne un sens.

    Mais le mythe antique a une signification. Il affirme autre chose que les anciens tenaient pour vraie. Platon dans l’allégorie de la caverne, l’Ecriture sainte ou les Bucoliques dans le retour de l’âge d’or nous parlent d’un autre monde : celui qui sort du geste créateur de l’Eternel , l’Alpha et l’Omega qui, au-delà de l'histoire et du temps présents, peut faire "toutes choses nouvelles".

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