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L'ami de tous et le frère de tout autre scout

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Un ami nous communique les notes d'une intervention qu'il a faite lors de la journée de lancement des scouts d'Europe, il y a une quinzaine de jours, sur le thème : "Tu es l'ami de tous et le frère de tout autre scout" (article IV de la loi scoute). Il nous autorise à les publier ici, ce dont nous lui sommes très reconnaissants.

“Tu es l’ami de tous et le frère de tout autre scout”  

“Je bent vriend van allen en broeder van iedere andere scout”

 Vriend van allen – L’ami de tous

Quand j’ai voulu préparer ce topo sur l’amitié et la fraternité ; j’ai été confronté à 2 problèmes. Le premier, c’est que comme tout le monde vit l’amitié et la fraternité au quotidien, on se retrouve vite à se répandre en une prêche très ardente, mais remplie de banalités du genre « love is good, you are good, friendship is good, god is good, all the time ».

Un autre de mes problèmes, c’est que je suis plutôt du genre à sélectionner très soigneusement mes amitiés, et aurais donc facilement la tentation de penser qu’à force de vouloir être l’ami de tous, on en finit par devenir l’ami de personne.

Je m’explique :

Il y a un lieu où nous sommes l’ami de (presque) tout-le-monde, où nous avons des tas d’amis, ou nous « aimons » ce que font nos « amis », où nous commentons ce qu’ils disent, où nous participons à plein de groupes avec eux, et c’est…Facebook naturellement. Et pourtant… Je ne pense pas que c’est de cela dont BP parlait, et tout-le-monde sent bien au fond de soi que Facebook n’est pas vraiment l’amitié, ou alors une amitié pleine de vacuité et de creuse vanité.

Il existe un autre milieu, où j’ai été quelque temps présent, où nous rencontrons des personnes qui voudraient être l’ami de tout le monde, qui veulent « aider » tout le monde et qui rendent des petits services à leurs « amis », qui serrent la main de toutes les personnes qu’ils rencontrent sur le marché, qui donnent raison à tout-le-monde et font toutes sorte de promesses en échange de l’amitié. Vous l’avez bien compris, il s’agit de la politique ! 

Un politicien, soyez-en sûr, sera toujours l’ami de tout-le-monde, quelle que soit la promesse qu’il doit faire, il vous donnera raison même si vous proposez l’abrogation du droit de vote et se prétendra toujours à votre service. Je lisais récemment une lettre écrite à Marcus Cicéron par son frère, qui déjà lui énumérait toutes les catégories de personnes dont il fallait être ami pour gagner une élection, et de temps en temps il dit « pour ceux-là une promesse ou un service suffira, pour ceux-là veille à connaître leur prénom, quant à ceux-ci, prends garde, il te faut être vraiment leur ami », etc..., etc…

J’ai le souvenir d’avoir assisté il y a quelques années à la fête annuelle d’un parti local, fête à laquelle était convié un ministre fédéral, que je rencontrais pour la première fois. Entrant dans la salle où il se trouvait, je remarque l’homme et le regarde dans les yeux de loin. Croyant que je l’avais reconnu d’une rencontre antérieure, il vint me trouver un peu plus tard pour me serrer la pince en me disant « Je vous ai vu de loin tout à l’heure et n’ai pu vous saluer, mais je suis content de vous revoir ». Le ton était si convaincant que je m’interrogeais plusieurs minutes sur l’endroit où j’avais pu déjà le rencontrer sans m’en souvenir.

Encore une fois, bien que vous soyez l’ami de tous en politique, il ne s’agit pas réellement de l’amitié.

Encore un autre exemple : quand j’étais aux Philippines, j’étais vraiment l’ami de tout-le-monde. On m’arrêtait 5 à 6 x par jour pour me crier « hey my friend ! Where are you going ? ». N’importe qui pouvait en effet voir que j’étais “americano », et possédait par conséquent une force d’attraction considérable : par ce simple fait, on pouvait supposer que j’étais grand, fort, beau, riche, intelligent et généreux, et que mon amitié était donc des plus intéressantes. Ces gens sont-ils vraiment mes amis, même si je ne les ai vus que 10 secondes durant ma vie ?

Deux derniers exemples qui vous rappelleront peut-être des situations que vous avez vécues. Je me souviens d’un étudiant, appelons le Albert, qui faisait de fêtes tellement fantastiques, mettait tellement l’ambiance, avec qui on devenait si volontiers bourré (pas moi hein) que chacun voulait être son ami… enfin, tant que les études ont duré. Puis il est resté seul avec ses fêtes et ses souvenirs. Pourtant il était, le temps d’une fête, l’ami de tous. Encore une fois : ce n’est pas non plus ce que nous cherchons.

Nous avons aussi tous connu au moins une personne qui, assoiffé d’amitié, se néglige complètement, cherche l’approbation de chacun, essaye désespérément que nous lui fassions l’obole de quelques instants d’amour pour lequel il est prêt à tout, même à oublier la totalité de ses autres désirs et qui il est. Ou encore celui qui ne supporte pas la désapprobation de qui que ce soit et veut être d’accord avec tout-le-monde… toutes choses qui en général nous tapent sur les nerfs. Ce n’est pas non plus l’amitié que nous désirons.

Tout cela nous fait une belle jambe me direz-vous, mais alors, c’est quoi l’amitié, et comment pouvons-nous être l’ami de tous ? Pour vous l’expliquer, je vais reprendre chacun de ces exemples, et essayer d’en déduire ce que nous recherchons dans l’amitié véritable.

Aristote distinguait 3 types d’amitiés : l’amitié utilitaire, de plaisir et l’amitié « vertueuse », ou « véritable ». Très souvent, quand on parle de l’amitié, on parle de cette dernière.

Ce que l’exemple philippin nous montre par exemple, c’est qu’un ami est quelqu’un qui peut nous rendre service. C’est ce qu’on appelle l’amitié « utilitaire ». C’est souvent le premier stade d’une amitié, et cela reste quelque chose que vous attendez de chacun de vos amis, du plus petit au plus intime.

L’exemple d’Albert, c’est l’amitié de plaisir. Je ne vais pas beaucoup le développer par manque de temps, mais c’est l’amitié qui nous pousse à rechercher la compagnie des autres pour le plaisir qu’ils nous donnent (jouer au tennis, ou danser par exemple) Elle suppose déjà un certain nombre d’affinités.

De l’exemple politique, on peut déduire qu’on attend d’un ami véritable qu’il nous connaisse. Notre prénom bien-sûr, mais bien plus encore. Le politicien est partout car l’amitié naît aussi par ce que nous avons vécu ensemble, et voir régulièrement un politicien peut vous donner l’illusion qu’il est votre ami. On peut aussi penser que le politicien recherche votre amitié, car il sait que l’amitié induit la confiance, et que la confiance est nécessaire à l’électeur pour voter pour lui. Et si nous rejetons souvent viscéralement l’amitié politique, c’est parce que nous la sentons hypocrite, et qu’il y a peu de choses que nous désirons autant dans l’amitié que la vérité, que nous amis puissent être tels qu’ils sont, nous accepter tels que nous sommes et nous dire la vérité sur nous-mêmes.

Facebook nous montre quant à lui le désir que nous avons d’être aimés véritablement de nos amis. Nous étalons nos activités et aimons que d’autres amis participent aux activités que nous faisons. Nous portons haut et fort nos opinions parfois, et nous sommes heureux que nos amis partagent notre vision de la société ou notre foi, que nous partagions ce qui nous anime. Mais par-dessus tout, nous étalons notre personne jusqu’à l’obscène parce qu’il est vital pour nous que nos amis nous aiment et nous admirent.

Tout cela nous mène donc à l’amitié « vertueuse », qui est l’amitié de l’autre… pour lui-même tout simplement. Désintéressée, en vérité, en connaissance de l’autre, en don de soi, en confiance et bien sûr réciproque… et qui nous permet au passage de vivre aussi l’amitié utilitaire et de plaisir. C’est le summum de l’amitié, celle qui est un des désirs les plus intimes de notre cœur, et que nous ne vivrons dans sa forme aboutie qu’avec quelques personnes dans notre vie.

Alors bien-sûr nous ne sommes pas appelés à vivre cette amitié-là avec tout le monde, ou en tout cas pas complètement. Ne fût-ce que parce que l’amitié suppose que vous connaissiez la personne et que vous ne pouvez connaître tout-le-monde. Par contre, il y a plusieurs manières de se rapprocher de l’amitié de tous. La première c’est par l’amitié utilitaire.

Dans les pays pauvres, ce type d’amitié est plus développé que chez nous, car les gens ont beaucoup plus besoin les uns des autres. Tandis que nous, qui sommes si bien organisés et vivons dans nos petits palais fortifiés et télévisés où nous n’avons sommes toutes plus besoin de rencontrer qui que ce soit, nous sommes souvent enclins à mépriser cette amitié utilitaire en tant que telle, que nous jugeons insuffisante. Pourtant, c’est elle qui nous permet souvent d’aller à la rencontre de l’autre.

Si une jeune demoiselle vient sonner à votre porte pour demander son chemin, vous n’allez pas lui dire « désolé mademoiselle, mais nous ne vivons pas une amitié véritable », mais vous allez l’aider. Cela veut dire que vous êtes prêt à vous comporter comme l’ami utile de tout-le-monde. De même, si vous perdez votre chemin, vous irez le demander à la première personne que vous rencontrerez. Cela veut dire que vous attendez aussi des autres qu’ils deviennent votre ami utilitaire. Et donc même si nous pourrions considérer facilement que ce type d’amitié est insatisfaisant (ce qu’il est la plupart du temps), le fait d’être toujours prêt à rendre service à l’autre et d’avoir l’humilité de compter sur leur aide nous permet de voir plus facilement en chaque personne que nous croisons la promesse d’un ami.

On pourrait dire la même chose de l’amitié de plaisir. Chez les scouts nous sommes prêts à jouer avec tout le monde. Celui qui joue avec vous commence déjà à être votre ami par le plaisir, et peut le devenir bien plus intensément par la suite.

Et enfin, bien-sûr, il nous est nécessaire de toujours offrir dans la mesure du possible à ces rencontres ce qui pourrait leur permettre de devenir un jour une amitié vertueuse : la vérité, la confiance, l’affection que vous ressentez, la réciprocité, etc... et cela nécessite de voir en chacun la promesse d’un ami plutôt qu’un importun qui nous demande une pièce de 2 €, quelqu’un de trop différent ou quelqu’un avec qui nous ne partageons pas assez pour vivre une amitié satisfaisante. Car même si vous ne devenez pas l’ami véritable de tout le monde, cet état d’esprit est celui qui vous permettra d’approfondir chacune de vos relations, de la plus futile à la plus immense. 

Le frère de tout autre scout – Broeder van ieder andere scout

Je terminerai par un mot sur la fraternité.

Si les amitiés que nous vivons dans le scoutisme sont particulièrement fortes, c’est je crois pour 2 raisons :

La première, c’est parce que le cadre du scoutisme est extrêmement fécond pour le développement de l’amitié telle que je viens de vous l'exposer : nous jouons ensemble, nous nous rendons service, nous vivons au contact de la nature (ce qui nous force à être nous-mêmes en vérité et nous interdit de cacher notre vraie nature aux autres), nous passons du temps ensemble, nous travaillons à l’exercice de la confiance, etc...

La deuxième est que nous partageons quelque chose de plus grand que nous. Un désir du bien et de servir qui nous dépasse et nous unit, quelque chose qui nous rends frère.

Vous le remarquez, l’article de notre loi scoute fait une distinction entre l’ami de tous et le « frère du scout ». Cela montre qu’il n’y a pas que de l’amitié entre nous, mais quelque chose qui nous unit inconditionnellement, qui est différent de l’amitié et la sublime.

La fraternité, c’est quelque chose qui s’impose à vous et sur lequel on ne se pose pas de questions, c’est une évidence. La fraternité, comme une famille, découle en fait de votre nature plus que de vos choix. Vous n’avez pas choisi votre frère, vous l’avez reçu. La fraternité, c’est quelque chose que vous ne pouvez refuser, à moins de renier ce que vous êtes, à moins de renier votre Père, et dans ce cas-ci notre père à tous, le Père.

Cela montre à quel point ce que partageons par le scoutisme est fort, et que si notre engagement est « vrai », il doit affecter jusqu’à la nature de ce que nous sommes, nous changer complètement. Et alors seulement, par cela, nous pourrons être non seulement de vrais amis, mais des frères.

Joseph, R.S.

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