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Et si c'était le néant de la société de consommation qui suscitait le néo-djihadisme ?

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De Frédéric Nissac sur le site de l'Observatoire Sociopolitique de Fréjus-Toulon :

Le néo-djihadisme, réaction au néant de la société de consommation 

            Alors que la France se remet difficilement du traumatisme des attentats du 13 novembre, le temps est venu de chercher le sens profonds de ces événements. Pourquoi est-il si difficile d’appréhender l’impensable ? Sans doute parce que l’expérience a perdu contact avec la raison. D’un côté, les attentats posent avec acuité la question du Mal et du sens de la vie. D’un autre, ils soulèvent de nombreuse questions.

            Pourquoi naissent cette radicalisation et cette interprétation fondamentaliste de l’Islam qui conduit au terrorisme ? Pourquoi dans notre civilisation, le dialogue, la raison ne parviennent-ils pas à vaincre la folie religieuse qui s’empare de la violence pour la sacraliser ?  « Il ne s’agit pas de la radicalisation de l’islam, mais de l’islamisation de la radicalité (1). » répond le politologue Olivier Roy. Le djihadisme ne serait que le masque pris par une jeunesse révoltée au point de céder à la haine et au Mal le plus absolu. Peut-être, mais la question demeure : pourquoi la révolte se manifeste-t-elle aujourd’hui d’une façon aussi nihiliste, meurtrière et suicidaire ?

            Benoît XVI a rappelé que « l’homme doit chercher la vérité ; il est capable de de vérité. » Mais celui-ci doit « s’assurer qu’elle n’a pas été falsifiée [et] a besoin de critères qui permettent de la vérifier (2). »  Or, que constatons-nous ? Que l’Occident post-moderne, au nom de la « dictature du relativisme », a annihilé toute forme de réflexion et de pensée critique. En voulant libérer l’individu, l’Occident l’a asservi. Pourtant, l’idée prédomine qu’en arrachant la personne à tous ses enracinements, qu’ils soient familiaux, culturels ou religieux, nous l’aurions fait accéder à la liberté politique et individuelle. N’est-ce pas Vincent Peillon, ancien ministre de l’Éducation nationale, qui affirmait vouloir « arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel » afin de lui « donner la liberté absolu du choix. » ?

            Cette thèse est ancienne. Elle a été résumée dans les années 1980 par le philosophe américain Christopher Lasch. Selon elle, seuls les déracinés pourraient accéder à la liberté intellectuelle et politique, ce qui « exigerait au préalable un programme éducatif ou un processus social (ou les deux) capable d’arracher les enfants à leur contexte familier, et d’affaiblir les liens de parenté, les traditions locales et régionales, et toutes les formes d’enracinement dans un lieu (3) ». Le résultat de ce processus est l’apparition d’une culture de masse planétaire qui, en s’imposant aux hommes comme n’importe quelle autre marchandise, éradique les anciennes cultures populaires. Or, cette nouvelle culture, loin d’engendrer une mentalité éclairée et indépendante, a fabriqué un nouvel asservissement.

            Chez nous, ce phénomène s’impose aujourd’hui à tous, aux Français comme aux populations issues de l’immigration récente. Une société qui se décompose entièrement est évidemment moins apte à accueillir sans trop de heurts une grande quantité d’immigrés que pouvait l’être une société cohérente et relativement heureuse. Que constate-t-on dans les « quartiers difficiles » où le néo-djihadisme recrute si ce n’est l’illettrisme généralisé et la banalisation de la violence ? Conséquences funestes de ce double déracinement : les immigrés ont perdu leur culture et leurs pays, très notoirement, sans pouvoir en trouver d’autre. Et les Français sont dans le même cas, et à peine plus secrètement.

            La proposition de la revue de l’Association des maires de France de réclamer une loi interdisant les crèches de Noël dans les lieux publics illustre cette violence symbolique extrêmes contre les traditions populaires. La crèche est un symbole religieux qui fait partie de notre histoire depuis le haut Moyen Âge. Sous une forme mêlant le profane et le religieux, à travers la tradition des santons, elle fait partie de la culture populaire provençale depuis le XVIIIème siècle. Laisser croire que l’on résoudra le problème de l’islam radical en s’attaquant à la plus innocente des traditions chrétiennes est ahurissant.

            Français ou étrangers, issus de l’immigration ou non, nous incarnons tous ce post-humain sans attaches et sans possibilités de s’enraciner dans une culture qui s’est elle-même sabotée. Ce n’est donc pas en tant qu’étrangers à la France que les déracinés de banlieue posent problème, mais en tant qu’ils sont les parfaits produits de la nouvelle France, celle qui se renie elle-même.

            On impute aux jeunes issus de l’immigration le « rejet du mode de vie occidental », rejet qui résonne comme le pire acte de barbarie aux yeux de nos élites. Mais comment pourrait-il en être autrement lorsqu’une civilisation qui n’est plus que l’ombre d’une ombre se présente comme un modèle indépassable ? Lorsque celle-ci a noyé le souci du prochain dans les eaux glacées du calcul égoïste et ne propose d’autre horizon spirituel à la société que celui de la consommation ?

            Face à la chute du modèle occidental, la jeunesse déracinée que nous avons fabriquée, qu’elle soit issue de l’immigration – et donc doublement déracinée – ou qu’elle ne le soit pas, cherche à reprendre racine. Que certains se tournent vers l’islam radicalisé doit être compris comme une réaction au néant de la société de consommation et une quête de nouvelles racines. Le fait que tout rejet du mode de vie occidental et de sa culture de masse soit présenté comme la pire des barbarie explique la radicalité de ce rejet. Que cela se fasse exclusivement ou presque au profit de l’islam salafiste n’est pas étonnant : notre société veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats. Mais que l’on ne s’en étonne pas. Christopher Lasch nous avait prévenu, « le déracinement détruit tout, sauf le besoin de racines. » Il est temps de retrouver nos racines.

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(1) Olivier Roy, « Le djihadisme est une révolte générationnelle et nihiliste », Le Monde, 24 novembre 2015.

(2) Benoît XVI, Lumière du monde, éditions Bayard, 2010.

(3) Christipher Lasch, Culture de masse ou culture populaire ? Éditions Climats, 2001.

Commentaires

  • Pour moi, il est clair que le relativisme délibéré et systématique, le relativisme comme méthode de « libération » d'un « esclavage » fantasmé, celui qui prétend « relever le maître intérieur », ce relativisme là laisse l'homme face à lui-même et débouche sur un « non-sens » absurde. C'est un nihilisme méthodique qui ne peut survivre que en se raccrochant à d'autres nihilistes, c'est-à-dire à rien. C'est la « chaîne d'union » des nihilistes absurdes qui exacerbe l'individualisme en une liberté dont on devient esclave, esclave de l'illusion, du mirage qui sans cesse se dérobe.
    On essaye alors de dépasser le non‑sens par un hédonisme consumériste refusant autant tout avenir que tout passé. Le libertarien devient libertin et fait du libertinage sa raison de vivre.

  • « Le XXIème siècle sera religieux ou ne sera pas ». Il est clair que le rejet du « mode de vie occidental » ne touche pas d'abord les immigrés mais bien de plein fouet la jeune génération de la classe bourgeoise dont les pères se sont battus pour un confort devenu raison de vivre.
    C'est le rejet (parfois inconscient) de ce matérialisme violent et agressif qui pousse certains jeunes à se « radicaliser ». C'est la prise de conscience de la tromperie et de la vanité de ces idéaux qui est le moteur tant que djihadisme islamique que de la radicalité écologique ou du retour à un vécu religieux authentique.

  • Une réponse à l'absurde structurel du système ne peut être élaborée que en sortant autant que faire se puisse du système. Le matérialisme consumériste s'exprimant entre autre grâce à un système financier totalitaire, il est nécessaire de « définancer » les échanges, de favoriser le bénévolat et le troc. Seul le travail fait dans une optique de non bénéfice, seule l’œuvre « gratuite » (même rémunérée) redonne « sens » au « travail‑œuvre » et à la « vie‑don ». Cette « œuvre gratuite » « offerte » recrée seule du lien entre le donateur et le bénéficiaire. Mais ce « don » doit nécessairement s'accompagner d'un réel détachement du matériel, qui parfois ira jusqu'au dénuement.
    Simplifions notre vie pour revenir à l'essentiel.

  • Certes, certes, Socrate, il faut pour « sortir du système » oppressant « dé‑financiariser » notre vie et de quelque manière la « dématérialiser », mais pour « sortir du système » ne faut-il pas d'abord la « dé‑hédoniser » et d'abord et prioritairement sortir de l'hypersexualisme obsessionnel obligatoire que le matérialisme athée propose comme absurde alternative de « sens » ?

  • C'est bien, je crois Sigismond, la volonté de détruire cet « hypersexualisme obsessionnel obligatoire » occidental qui fonde un certain nombre d'agressions et d'abord envers les femmes « provocantes ». Afin qu'elles l'abandonnent, il s'agit de leur faire regretter leur « libertinage », en leur en faisant « payer le prix ». L'islam radicalisé ne serait-il pas en partie la radicalisation d'une revendication familiale ? 
    La seule réponse possible, tant au libertinage que à l'agressivité maladive, n'est-elle pas le respect absolu de la personne qui est , en même temps, corps, esprit et âme ?
    Dans ce respect inconditionnel, particulièrement du plus faible, dans cet amour authentique, le christianisme ne se montre-t-il pas supérieur à toute autre option ? 
    Il est impossible de défendre les « valeurs de la république » sans retrouver et valoriser les « racines chrétiennes » qui fondent ces valeurs.
    Détruire la famille hétérosexuelle monogame c'est, ipso facto, détruire la « res publica ». C'est exactement ce que revendiquent les anarcho-gauchistes. C'est peut-être ce à quoi s'oppose un certain islam ; la famille hétérosexuelle monogame fait en tout cas parie de la tradition chrétienne.

  • Sans vouloir aucunement réduire la radicalisation islamique à ce seul aspect, on voit bien que cette radicalisation a peut-être quelque chose à voir avec la défense d'une vision de la famille et de la filiation.
    La radicalisation laïciste s'enferme dans une pensée magique infantile et immature qui est revendication d'une toute puissance illusoire. C'est un déni de réalité qui a tendance à nier la différence homme-femme, qui est complémentarité indispensable à l'engendrement. C'est l'enfermement appauvrissant de la sexualité dans un hédonisme stérile, hédonisme qui est rejeté par la recherche d'une ouverture au don gratuit de la vie. Ce don gratuit donne une autre dimension, un autre sens, à la sexualité.
    A la radicalisation agressive et totalitaire de ce laïcisme répond la radicalisation agressive de l'islamisme. La seule façon d'en sortir est quitter une posture agressive-totalitaire, ce que les laïcistes ne semblent pas près à faire.

  • La radicalisation laïciste est le résultat de la perception d'une faiblesse interne, intrinsèque, résultant du postulat laïciste, arbitraire et absurde, de la toute puissance de la Raison fondement d'une Liberté que l'on voudrait Absolue et sans limite. Mais la liberté n'est jamais que contingente et relative et la raison enfermée dans les limites étroites de ses postulats.
    Faute de transcendance et d'absolu permettant d'ancrer la liberté dans un amour inconditionnel, la liberté se replie en caricature d'elle-même et s'effondre dans le totalitarisme. Faute de transcendance, la Vérité raisonnable n'est jamais que partielle.

  • Cette excellente analyse de Frédéric Nissac n’évoque cependant pas la timidité de l’Eglise pour promouvoir sa cause, y compris par la raison mise au service de la vérité chrétienne. Et pourtant Benoît XVI a supporté cette approche, et il ne serait pas trop difficile d’utiliser de nombreuses découvertes scientifiques récentes pour célébrer l’acte de création du Père, ne fût-ce qu’en admirant Son œuvre dans les nouvelles images que le télescope spatial Hubble nous envoie chaque jour. Si les auteurs des psaumes les avaient connues, ils les auraient certainement utilisées. De même après avoir été déjà impressionné par les positions de Jung favorables au catholicisme en lisant quelques-uns de ses livres, dernièrement j’ai découvert un recueil de ses idées encore bien plus proches de la doctrine de notre religion dans ‘L’âme et la Vie’ où ses textes essentiels ont été réunis par sa collaboratrice Jolande Facobi (Voir quelques extraits commentés à http://users.skynet.be/fc838500/ker/jungamvi.htm ). Il y a là de solides arguments pour réfuter ceux qui proposent le néant ou/et le libertinage.
    Et pour vraiment offrir une vision positive de l’avenir de l’humanité il reste évidemment Teilhard de Chardin qui finalement a été favorablement évoqué également par Ratzinger (Benoît XVI) quand il a écrit ‘La foi chrétienne hier et aujourd’hui’. (Voir aussi ‘Teilhard de Chardin respecte la christologie paulinienne’ sur le même site.)
    C’est aussi notre Pape François qui a demandé de ne pas avoir peur de bousculer les méthodes trop familières.

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