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Le pape François au journal « La Croix » : les racines de l’Europe sont plurielles

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Extraits de l’interview que François a accordée à Guillaume Goubert, directeur de « La Croix » et à Sébastien Maillard, envoyé spécial de ce journal à Rome :

La Croix : Dans vos discours sur l’Europe, vous évoquez les « racines » du continent, sans jamais pour autant les qualifier de chrétiennes. Vous définissez plutôt « l’identité européenne » comme « dynamique et multiculturelle ». Selon vous, l’expression de « racines chrétiennes » est inappropriée pour l’Europe ? 

Pape François : Il faut parler de racines au pluriel car il y en a tant. En ce sens, quand j’entends parler des racines chrétiennes de l’Europe, j’en redoute parfois la tonalité, qui peut être triomphaliste ou vengeresse. Cela devient alors du colonialisme. Jean-Paul II en parlait avec une tonalité tranquille. L’Europe, oui, a des racines chrétiennes. Le christianisme a pour devoir de les arroser, mais dans un esprit de service comme pour le lavement des pieds. Le devoir du christianisme pour l’Europe, c’est le service. Erich Przywara, grand maître de Romano Guardini et de Hans Urs von Balthasar, nous l’enseigne : l’apport du christianisme à une culture est celui du Christ avec le lavement des pieds, c’est-à-dire le service et le don de la vie. Ce ne doit pas être un apport colonialiste. 

Vous avez posé un geste fort en ramenant des réfugiés de Lesbos à Rome le 16 avril dernier. Mais l’Europe peut-elle accueillir tant de migrants ? 

Pape François : C’est une question juste et responsable parce qu’on ne peut pas ouvrir grand les portes de façon irrationnelle. Mais la question de fond à se poser est pourquoi il y a tant de migrants aujourd’hui. Quand je suis allé à Lampedusa, il y a trois ans, ce phénomène commençait déjà.

Le problème initial, ce sont les guerres au Moyen-Orient et en Afrique et le sous-développement du continent africain, qui provoque la faim. S’il y a des guerres, c’est parce qu’il y a des fabricants d’armes – ce qui peut se justifier pour la défense – et surtout des trafiquants d’armes. S’il y a autant de chômage, c’est à cause du manque d’investissements pouvant procurer du travail, comme l’Afrique en a tant besoin.

Cela soulève plus largement la question d’un système économique mondial tombé dans l’idolâtrie de l’argent. Plus de 80 % des richesses de l’humanité sont aux mains d’environ 16 % de la population. Un marché complètement libre ne fonctionne pas. Le marché en soi est une bonne chose mais il lui faut, en point d’appui, un tiers, l’État, pour le contrôler et l’équilibrer. Ce qu’on appelle l’économie sociale de marché. 

 

Revenons aux migrants. Le pire accueil est de les ghettoïser alors qu’il faut au contraire les intégrer. À Bruxelles, les terroristes étaient des Belges, enfants de migrants, mais ils venaient d’un ghetto. À Londres, le nouveau maire (Sadiq Khan, fils de Pakistanais, musulman, NDLR) a prêté serment dans une cathédrale et sera sans doute reçu par la reine. Cela montre pour l’Europe l’importance de retrouver sa capacité d’intégrer. Je pense à Grégoire le Grand (pape de 590 à 604, NDLR), qui a négocié avec ceux qu’on appelait les barbares, qui se sont ensuite intégrés.

Cette intégration est d’autant plus nécessaire aujourd’hui que l’Europe connaît un grave problème de dénatalité, en raison d’une recherche égoïste de bien-être. Un vide démographique s’installe. En France toutefois, grâce à la politique familiale, cette tendance est atténuée.

La crainte d’accueillir des migrants se nourrit en partie d’une crainte de l’islam. Selon vous, la peur que suscite cette religion en Europe est-elle justifiée ?

Pape François : Je ne crois pas qu’il y ait aujourd’hui une peur de l’islam, en tant que tel, mais de Daech et de sa guerre de conquête, tirée en partie de l’islam. L’idée de conquête est inhérente à l’âme de l’islam, il est vrai. Mais on pourrait interpréter, avec la même idée de conquête, la fin de l’Évangile de Matthieu, où Jésus envoie ses disciples dans toutes les nations. 

Devant l’actuel terrorisme islamiste, il conviendrait de s’interroger sur la manière dont a été exporté un modèle de démocratie trop occidentale dans des pays où il y avait un pouvoir fort, comme en Irak. Ou en Libye, à la structure tribale. On ne peut avancer sans tenir compte de cette culture. Comme disait un Libyen il y a quelque temps : « Autrefois, nous avions Kadhafi, maintenant, nous en avons 50 ! »

Sur le fond, la coexistence entre chrétiens et musulmans est possible. Je viens d’un pays où ils cohabitent en bonne familiarité. Les musulmans y vénèrent la Vierge Marie et saint Georges. Dans un pays d’Afrique, on m’a rapporté que pour le Jubilé de la miséricorde, les musulmans font longuement la queue à la cathédrale pour passer la porte sainte et prier la Vierge Marie. En Centrafrique, avant la guerre, chrétiens et musulmans vivaient ensemble et doivent le réapprendre aujourd’hui. Le Liban aussi montre que c’est possible.

La Croix : L’importance de l’islam aujourd’hui en France comme l’ancrage historique chrétien du pays soulèvent des questions récurrentes sur la place des religions dans l’espace public. Quelle est, selon vous, une bonne laïcité ?

Pape François : Un État doit être laïque. Les États confessionnels finissent mal. Cela va contre l’Histoire. Je crois qu’une laïcité accompagnée d’une solide loi garantissant la liberté religieuse offre un cadre pour aller de l’avant. Nous sommes tous égaux, comme fils de Dieu ou avec notre dignité de personne. Mais chacun doit avoir la liberté d’extérioriser sa propre foi. Si une femme musulmane veut porter le voile, elle doit pouvoir le faire. De même, si un catholique veut porter une croix. On doit pouvoir professer sa foi non pas à côté mais au sein de la culture. 

La petite critique que j’adresserais à la France à cet égard est d’exagérer la laïcité. Cela provient d’une manière de considérer les religions comme une sous-culture et non comme une culture à part entière. Je crains que cette approche, qui se comprend par l’héritage des Lumières, ne demeure encore.

La France devrait faire un pas en avant à ce sujet pour accepter que l’ouverture à la transcendance soit un droit pour tous.

Dans ce cadre laïque, comment les catholiques devraient-ils défendre leurs préoccupations sur des sujets de société, tels que l’euthanasie ou le mariage entre personnes de même sexe ? 

Pape François : C’est au Parlement qu’il faut discuter, argumenter, expliquer, raisonner. Ainsi grandit une société. Une fois que la loi est votée, l’État doit respecter les consciences. Dans chaque structure juridique, l’objection de conscience doit être présente car c’est un droit humain. Y compris pour un fonctionnaire du gouvernement, qui est une personne humaine. L’État doit aussi respecter les critiques.

C’est cela une vraie laïcité. On ne peut pas balayer les arguments des catholiques, en leur disant : « Vous parlez comme un prêtre. » Non, ils s’appuient sur la pensée chrétienne, que la France a si remarquablement développée.

Recueilli par Guillaume Goubert et Sébastien Maillard (à Rome) »

Ref. Le pape François au journal « La Croix » : les racines de l’Europe sont plurielles et « Un État doit être laïque »

La laïcité est un concept équivoque.  Lire ici :  Inscrire la laïcité dans la constitution belge, pour quoi faire ?  

Pour le reste, cette référence à la « multiculturalité » ambiante paraîtra un peu courte : comme si l’Europe n’avait pas puisé ses racines dans une référence fondamentale aux trois capitales qui ont façonné  sa culture multiséculaire : Jérusalem, Athènes et Rome. Quant à la chrétienté avatar du triomphalisme colonial, passons…quitte à y revenir dans un prochain post.

JPSC

Commentaires

  • En accord avec notre pape François.
    Je pense que si nous n'avions pas eu la chance d'avoir un tel pape, pour le moment, j'aurais quitté l'Eglise Institutionnelle !
    Cela ne veut pas dire que je me serais pas "nourri" des sacrements, de la prière ...

    Ce qui me conforte c'est qu'une large majorité de chrétiens sont d'accord avec les propos, actions ... de François !

  • La Foi et les moeurs se définissent par des votes majoritaires ?

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