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Quand on associe religions et violence, ce que l'on oublie de dire

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Du père Laurent Stalla-Bourdillon, directeur du Service pastoral d'études politiques, sur le site de lavie.fr :

Religions et violence : ce que l’on oublie de dire

Pour pouvoir préciser les rapports que peuvent entretenir les religions et la violence, et pour dépasser les simplifications enfantines, il est nécessaire de bien voir d’abord ce qu’est l’être humain doué de foi et de raison. Alors seulement, devient-il possible de comprendre le mécanisme qui associe « la violence et le sacré » et d’y répondre de manière adulte. L'analyse du père Laurent Stalla-Bourdillon, recteur de la Basilique Sainte-Clotilde (Paris) et directeur du Service pastoral d’études politiques (SPEP).

Les journaux n’ont pas manqué de relever et de commenter les propos du pape François de retour des JMJ de Cracovie, le 31 juillet 2016 : « Je n'aime pas parler de violence islamique, parce qu'en feuilletant les journaux je vois tous les jours que des violences, même en Italie, (...). Si je parle de violence islamique, je dois parler de violence catholique. Non, les musulmans ne sont pas tous violents, les catholiques ne sont pas tous violents. (…) Je crois que ce n'est pas juste d'identifier l'islam avec la violence, ce n'est pas juste et ce n'est pas vrai. » Nul ne connaît précisément son degré d’expertise en islamologie, et tant pis pour ceux qui s’imaginait que François serait le pourfendeur de l’Islam, de ses mœurs, de sa doctrine… François ne cède pas au relativisme, sa remarque porte tout simplement sur une autre réalité. 

A lire aussi : Les propos complets du pape sur la violence et la religion 

Si nous entendons correctement les propos du Pape, il ne serait pas juste d’identifier une religion – quelle qu’elle soit – avec la violence. François s’inscrit ici à rebours de ce que nous entendons souvent : « les religions sont intrinsèquement source de violence ». Naturellement des doctrines religieuses peuvent être attentatoires à la dignité humaine, elles ne sont probablement pas à mettre de facto sur le même plan, nous y reviendrons. Mais pour François, il est essentiel de comprendre que la violence est d’abord le fait de l’homme avant même toute adhésion à une doctrine religieuse.

C’est toujours à partir de l’engagement d’une liberté humaine qu’une doctrine génère selon l’interprétation qu’on en fait, plus ou moins, peu ou pas de violence. Avant d’incriminer la doctrine religieuse, il faut regarder ce qu’il y a dans l’homme ! Si le Pape dit qu’il y a chez les catholiques aussi des fanatiques, c’est bien que – pour lui – la source de la violence n’est pas contenue dans le corpus de doctrines chrétiennes, mais dans l’homme lui-même. C’est d’abord le cœur de l’homme qui est malade, son intelligence blessée, et la religion peut devenir alors pour certains, le révélateur de cette violence déjà là. Le Pape a ainsi voulu dire qu’il sera toujours plus facile de défausser sa propre violence sur des doctrines religieuses, pour s’affranchir de la regarder au plus profond de soi-même.

 

Il reste certainement vrai que les religions servent d’alibi à cette violence en nous. Cela est d’autant plus regrettable que ces violents attribuent à la « parole de Dieu » la légitimité de leur violence, une violence qui est en eux et non d’abord dans leur livre. A quel type nouveau d’éducation devons-nous réfléchir qui puisse intégrer la dimension violente de l’homme ? Qu’on le veuille ou non, l’homme ne vient pas au monde indemne du mal. Hélas, il saura en faire sans qu’on le lui apprenne. Nous le savons tous, mais nous feignons de croire que l’on pourra éduquer des jeunes sans les aider à nommer les puissances, les désirs, les élans qui sont en eux. Comment avons-nous pu concevoir un système éducatif muet sur les aspirations de l’âme, sur ses tensions contradictoires ?

Si un « livre » (religieux ou pas) devait entraîner à la haine, une sagesse collective devrait aussitôt interroger sa crédibilité et son autorité. Chacun est libre de lire ce qu’il veut, mais chacun est aussi responsable de ce qu’il décide de croire. Nous consentons trop facilement à ce que les religions soient vues comme des « contraintes à ne plus penser par soi », à ne plus questionner, à croire sans discernement. Toute la faute incomberait aux religions.

Or, tout croyant authentique donne librement son consentement. À qui décide-t-il de faire confiance ? En vue de quoi s’engage-t-il ? Ce sont là des questions qu’il serait heureux que nous apprenions à nous poser. Nous verrions alors que toute personne se forge ses propres doctrines personnelles. Ces conceptions subjectives que nous nous faisons sont sans doute très éloignées du sens authentique des doctrines. Et ainsi nous comprenons ces remarques de« défense des religions » comme « ce n’est pas cela le véritable islam, ou le vrai christianisme, ou le vrai hindouisme … », que nous retrouverions pour toutes religions. Les terroristes auraient donc conçu une version dégénérée de la vraie doctrine. Qui dira alors le « vrai » dans cette affaire ?

La vérité qui devrait nous intéresser n’est pas d’abord celle des doctrines dans un jeu de concurrence, mais celle de l’homme ! Qu’est-ce que la vérité sur l’homme ? C’est à cette unique question qu’entend répondre la foi en la personne du Christ. C’est en révélant l’homme à lui-même, que le Christ établit l’homme en face de Dieu, son Créateur et Père. L’Homme est né de Dieu et appelé à vivre en « fils de Dieu ». Aussi obscure que soit cette parole, elle énonce une vocation, un chemin d’accès à une identité qui nous échappait jusqu’alors. Il y a là quelque chose qui n’est pas le produit de l’homme, mais qui le rejoint par révélation et l’élève aussitôt qu’il le conçoit.

Les documents normatifs des religions, les textes dits « révélés », « inspirés », ou « commentaires autorisés », sont toujours sujets à interprétation. L’instance de réception dans le croyant, reste toujours sa liberté. S’il est vrai que nous sommes appelés à découvrir la vérité du sens ultime de nos vies, cet appel fonde notre liberté. La lecture des livres religieux n’enclenche pas automatique des actions qui y sont prescrites, à moins que nous soyons en présence d’un homme-machine qui réponde à un programme, comme nous essayons ou rêvons de les concevoir aujourd’hui. Nous devrions avoir un peu moins peur de nous familiariser avec les notions religieuses, afin de pouvoir mieux en discuter librement. Nous devrions faire davantage confiance à la capacité de notre conscience de rejeter le faux, de discerner le vrai.« Moins de religion » ne signifie pas moins de violence. « Plus de religion » non plus.

Après ce regard sur l’homme lui-même comme première source de violence, revenons aux religions en tant que telles. Des doctrines peuvent être cause de violence, s’il est vrai qu’elles contiennent un message contraire à la dignité de la personne, à l’unité de l’unique famille humaine,…
Des religions visent-elles à obtenir sous la contrainte une confession de foi verbale ? On s’interroge. Si tel est le cas, il faut dénoncer une triste conception anthropologique et théologique, et redire que c’est à partir de sa seule liberté que Dieu appelle l’homme à lui exprimer sa gratitude. Qui pourrait croire un « merci » ou un «  je t’aime » prononcés sous la contrainte ? S’il devait apparaître qu’une simple confession verbale envers Dieu, indifférente à la liberté de conscience soit le signe de la foi, la preuve serait faite que ce « dieu » ne connaît pas l’homme et est sans intérêt pour l’homme.

« Moins de religion » ne signifie pas moins de violence. « Plus de religion » non plus. La question est ailleurs : la violence est dans l’exercice contrarié de notre liberté faussement certaine d’avoir atteint la vérité. Nous n’aurons rien à craindre d’une ébullition du sentiment religieux si nous savons dans le même temps, travailler ensemble et avec la raison à la recherche de la vérité. Nous aurons tout à craindre si l’ignorance religieuse déjà répandue se doublait de la démission de l’effort de raison.
Il serait essentiel aujourd’hui que notre société se penche sur les mécanismes de la croyance, constitutifs de l’humain. Plutôt que de se battre pour savoir lequel des « livres » serait supérieur aux autres, sans plus réfléchir… il serait davantage pertinent de travailler sur les aptitudes du cœur et de l’intelligence communes à tous, à discerner la vérité et ses modes d’expression dans l’histoire.

Ce travail est urgent parce que vital. C’est le travail de la raison à mener de l’école à l’Assemblée. Dans l’errance de croyances privées de raison, l’homme meurt. De même, il étouffe sous le poids d’une raison enfermée sur elle-même. La raison sauve la foi en précisant les critères d’une confiance qui humanise, et la foi fait rayonner sur la raison humaine, la lumière de l’humilité requise pour s’ouvrir, découvrir et s’unir à la Raison divine.

Jean Paul II débutait son encyclique Foi et Raison par ces mots : « La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers la contemplation de la vérité. » De ce point de vue, notre société ressemble à un avion qui aurait éteint ses deux réacteurs, celui de la foi et celui de la raison, ne sachant plus s’il est pertinent de s’élever vers une hypothétique vérité. La crise actuelle est donc plus philosophique que religieuse. Mais c’est à la lumière des convulsions religieuses – de fanatisme, d’athéisme, de consumérisme – que nous la percevons aujourd’hui le plus clairement.

Commentaires

  • La question ô combien actuelle est : oui ou non, le Coran qui, sauf erreur de ma part, ne fait pas partie du corpus de la Révélation, contient-il des appels à la violence ? S’il en est ainsi, sa lecture ne doit-elle pas être purifiée à la lumière de la raison naturelle dont Dieu a doté l’homme bien avant qu’adviennent les figures religieuses d’Abraham ou de Mahomet.
    Ce que nous admettons pour la mémoire religieuse du peuple juif conservée dans la « polyphonie » historique les livres constituant la Bible devrait a fortiori valoir pour la centaine de sourates consignant les songes d’un « nouvel Abraham » sans Messie ni Promesse. Il faut aider le monde musulman à faire un retour sur lui-même pour renouveler sa foi à la lumière de la Sagesse éternelle de Dieu.

  • Cher JPSC,
    En effet, le Coran (114 sourates) ne fait pas partie du corpus de la Révélation.
    Comment serait-il possible -d'un point de vue chrétien- de considérer comme révélé un texte qui affirme, par exemple : "[...] les Chrétiens disent : "Le Christ est fils d'Allah". Telle est la parole provenant de leur bouches. Ils imitent le dire des mécréants avant eux. Qu' Allah les anéantisse. Comment s'écartent-ils (de la vérité) ?" (Sourate 9, 30).
    Radicalement impossible !

    Et bien sûr, il contient des appels à la violence ! Contre tous les "mécréants". comprendre : les juifs, les chrétiens, les "polythéistes". En fait contre tous les non-musulmans (et même -de nos jours- contre les mauvais musulmans : chiites, soufis, etc.)
    Dans quel but ? Réponse à la sourate 9,33 : assurer le triomphe de la seule vraie religion sur toute autre.

    Vous voudriez "purifier sa lecture à la lumière de la raison naturelle". Il semblerait que certains exégètes s'y essaient : ils sont ultra minoritaires et se heurtent au mur de cette affirmation : le Coran est la parole incréée d'Allah...

    D'accord avec vous : ' Il faut aider le monde musulman à faire un retour sur lui-même pour renouveler sa foi à la lumière de la Sagesse éternelle de Dieu.'
    Par la prière (pourquoi pas collective) d'abord et surtout, mais pourquoi pas aussi par une pastorale ad hoc (je crois que c'est A. Dumouch qui déplorait que l'Église de Belgique n'ait rien mis en place en ce sens). Les musulmans de nos pays ont de la chance : le christianisme est à portée de main. Paradoxalement il y a sans doute plus de conversions dans des pays fermés au christianisme comme l'Iran.

  • Merci à ce Père de nous mettre en garde contre les simplifications enfantines.

    Qui demande au pape d'être le pourfendeur de l'Islam ? Qui a dit que tous les musulmans étaient violents ?

    Dans le même article, l'auteur arrive - très sérieusement - à combiner les deux éléments suivants:

    - François ne cède pas au relativisme

    - Plutôt que de se battre pour savoir lequel des « livres » serait supérieur aux autres, sans plus réfléchir… il serait davantage pertinent de travailler sur les aptitudes du cœur et de l’intelligence communes à tous, à discerner la vérité et ses modes d’expression dans l’histoire.

    Lequel des "livres" serait supérieur aux autres ? Ce n'est peut-être pas comme ça qu'il faut aborder les choses. Mais un chrétien ne peut pas manquer de se poser des questions quand la parole de Dieu dit: "je suis le chemin, la vérité et la vie".

    Qu'est-ce que la vérité ? Et au stade où nous sommes, qu'est-ce que Dieu peut bien vouloir aujourd'hui ? Comment comprendre qu'un prêtre, épargné lors de la guerre en Algérie, seul survivant d'une fusillade, finit-il sa vie, plus de cinquante ans plus tard, victime d'un assassinat rituel, dans une église qui porte le nom du premier martyr chrétien ?

    Le père Stalla serait bien inspiré de connaître la doctrine mortifère enseignée par Daesh, et relayée dans leur organe de propagande, dans un article très évocateur qui s'intitule: "par l'épée".

    On peut y lire notamment ceci: "cici est une guerre avec une garantie divine, entre la nation musulmane et les nations non croyantes".

    Ou bien encore: "certainement, livrer le jihad - diffuser la loi d'Allah par l'épée - est une obligation basée sur le Coran... C'est obligatoire de verser le sang des infidèles.... l'ordre est clair. Tuez les infidèles, comme l'a dit Allah. Ensuite, tuez les polythéistes, où qu'ils se trouvent".

    http://www.breitbart.com/national-security/2016/08/02/islamic-state-answers-pope-francis-religious-war/

    On marche sur des oeufs... Mais venir dire: "Plutôt que de se battre pour savoir lequel des « livres » serait supérieur aux autres, sans plus réfléchir"... ou bien encore: "La vérité qui devrait nous intéresser n’est pas d’abord celle des doctrines dans un jeu de concurrence, mais celle de l’homme ! Qu’est-ce que la vérité sur l’homme", ça me fait un peu penser à ces querelles sur le sexe des anges, alors que le désastre pointait le bout de son nez.

    Quand bien même ça ne nous intéresserait pas... (soit dit en passant, c'est extraordinaire de lire ça de la part d'un prêtre), d'autres s'y intéressent à notre place.

  • Vous allez beau tourner dans tous les sens, la religion peut avoir une influence positive ou négative sur une personne qui décide de croire. Elle (la religion) peut transformer la personne ou l'asservir, selon que la base doctrinale et celui qui la transmet sont positifs ou négatifs. Dans l’Église catholique, la base doctrinale qui tire sa légitimité du Christ et qui a été, au fil des siècles, explicités par des savants de haut vol, a transformé des civilisations et des personnes au point de les façonner en profondeur. Une religion, ayant une base saine et bien enseigné transforme positivement les cœurs. Une religion, à la base pervers, pervertit les cœurs et peu amplifier les mauvais penchant qui sommeillent en chacun de nous. C'est le cas de l'islam dont le contenu fait l'apologie de la violence. Il est claire qu'un tel message, tombant sur un cœur aux penchants violents par un prédicateur incitant au meurtre en démontrant, référence à l'appui que c'est la volonté de Dieu, ne peut qu'engendrer des violences de masse. TOUT AU DÉPART EST DANS LE CONTENU.

  • Ce commentaire est très intéressant, mais pourquoi, si tel est bien le sens du message papal (ce dont je suis loin d'être convaincu), l'a-t-il exprimé de manière si maladroite. Dans l'hypothèse favorable exprimée par l'auteur de ce billet, on ne peut s'empêcher de penser que le pape devrait éviter de se trouver dans la position de devoir répondre aux questions, le plus souvent insidieuses, posées par les journalistes. Visiblement, quoique jésuite et donc en principe très intelligent, il ne semble pas doué pour cet exercice de communication. L'est-il davantage quand il rédige dans la sérénité de son bureau ? Les réactions contrastées (c'est le moins qu'on puisse dire) à Amoris Laetitia permettent d'en douter. Reste une certaine ostentation dans la simplicité qui séduit manifestement ceux qui sont sensibles aux apparences, mais est-ce suffisant dans les conditions dramatiques que nous connaissons ?

  • Le Père Stalla écrit : " [...] c’est à partir de sa seule liberté que Dieu appelle l’homme à lui exprimer sa gratitude. Qui pourrait croire un « merci » ou un « je t’aime » prononcés sous la contrainte ?".

    C'est essentiel ! L'Amour appelle l'amour. Et l'amour véritable ne peut être que libre. Mais le dieu de l'islam est-il l'Amour? On n'en trouve aucune affirmation dans son texte fondateur !

    Alors celui qui s'attache à cette religion et à ce "dieu", risque bien de passer à côté de l'amour, l'attitude la plus fondamentale que nous sommes appelés -par Dieu lui-même- à adopter dans toute l'étendue de notre vie, à l'égard de tous; l'expérience véritablement constitutive de la personne humaine (en aimant, je déploie la plénitude de ma personnalité et je traite autrui comme une personne. "Aimer, c'est aimer une personne." écrit saint Jean-Paul II dans "Amour et Responsabilité").

  • Bonjour,

    C'est très juste ce que vous dites. Si je ne m'abuse, l'Islam connaîtrait 99 manières différentes d'appeler Allah. Mais aucune ne fait référence à la notion d'amour. Allah n'est tout simplement pas un dieu personnel. Il accueille au paradis qui il veut, sans que le Coran explique les règles à suivre pour gagner le paradis... sauf en matière de jihad.

    Plusieurs amis prêtres m'ont raconté des discussions intéressantes qu'ils ont eues maintes fois avec des musulmans: ils témoignent d'un manque dans leur relation à Dieu. Et ce manque concerne l'amour, l'amitié avec Dieu... Il arrive aussi que certains veuillent se confesser. C'est assez extraordinaire je trouve.

    La période que nous vivons... et qu'ils vivent aussi, pourrait faire bouger les lignes. C'est mon humble intuition en tout cas.

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