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Le "bébé aux trois ADN" : une avancée dont il faudrait se réjouir ? Louis Tonneau répond au Professeur Englert

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Le 28 septembre, la Libre publiait Le "bébé aux 3 ADN" constitue une "avancée incontestable", une interview du Pr Yvon Englert de l'ULB. Louis Tonneau (juriste) réagit à cette prise de position :

Ce “bébé aux 3 ADN” peut apparaître comme une prouesse scientifique mais ce n’est pas une avancée. C’est une dérive sur le plan éthique. Non seulement il s'agit d'une technique eugéniste  mais où reste la prudence nécessaire? Non, la fin ne justifie pas les moyens. Cette pratique est interdite sur le sol américain, ce n’est pas anodin et doit nous interpeller.

Selon ses initiateurs, cette nouvelle technique de procréation médicalement assistée évite des maladies dégénératives et se présente comme une thérapie de correction, pourquoi n’approuvez-vous pas?

Parce que c’est une technique eugéniste. Lorsqu’on parle de « façon élégante d’éviter des maladies dégénératives », le langage est manifestement choisi mais travestit toutefois une réalité inquiétante: il ne s’agit pas de soigner la maladie dont serait atteint le futur bébé mais bien de manipuler le matériel génétique en présence en vue d’une procréation “non défectueuse”.  Lorsque l’on s’arroge le droit de juger de ce qui est digne ou non d’être vécu (“c’est le genre de vie qu’on ne souhaite à personne”) et de trier ainsi ceux qui vivront des condamnés à ne pas naître, c’est une gifle que l’on envoie aux enfants malades, aux personnes handicapées et à toutes celles qui souffrent d’une quelconque déficience. Quand l’acte médical se teinte discrètement d’eugénisme, il y a de quoi s’inquiéter.

Le recours à cette technique a pour but de soulager la détresse d’une mère dont les tentatives d’avoir un enfant se sont soldées par des échecs répétés. Ne convient-il pas de tenter d’apaiser à tout prix cette souffrance?

Il s’agit là d’une souffrance intolérable, qu’il faut pouvoir accompagner en humanité. C’est primordial. Mais pas à n’importe quel prix. Cela justifie-t-il pour autant d’avoir recours à une procédure contestable quant à sa dimension éthique ? Dans ce domaine, la plus grande prudence prévaut. C’est la seule attitude qui vaille lorsque la médecine interroge les limites de l’acceptable.

Pourtant, pour les défenseurs, ce qui importe, ce n’est pas la technique utilisée mais bien ce que l’on fait.

Il est difficile de ne pas y voir un manque de réflexion quant au caractère éthique de l’acte posé. Où est la prudence nécessaire ? Nous ne sommes ici pas loin du vieil adage “la fin justifie les moyens”.  Il est bon de le redire : lorsque la dignité de la personne humaine est en jeu et qu’on touche aux limites de ce qu’il est permis de faire avec la science, la fin ne peut justifier les moyens. C’est d’ailleurs pour cette raison que bon nombre de pays à travers le monde interdisent la pratique du transfert génétique du noyau. Devoir traverser une frontière comme le fit l’équipe du Pr Zhang (partie au Mexique) en raison de l’interdiction d’une telle pratique sur le sol américain n’est pas anodin. Cela doit nous interpeller.

Ne pensez-vous pas qu’en l’espèce, le bénéfice médical est difficilement contestable puisqu’il évite la transmission d’une maladie mortelle?

C’est un chemin dangereux, celui de la “pente glissante”, qui consiste à dire que celui qui met son doigt dans un engrenage dangereux risque tôt ou tard de se retrouver à transgresser toutes les balises que lui-même avait fixées lorsqu’il y inséra la première phalange. Force est de constater que, de manière systématique, l’histoire a donné raison à ceux qui, dès l’origine, nous avaient averti des conséquences à long terme qu’aurait un engagement sur des chemins trop glissants. En matière d’euthanasie par exemple, la loi de dépénalisation partielle nous a été vendue comme excluant les souffrances psychologiques et les mineurs d'âge, ce n’est plus le cas aujourd’hui. En matière d’avortement encore, la loi autorisant cette pratique présentait initialement une série de garde-fous (délai de réflexion, détresse de la femme, etc.) : ils sont actuellement remis en cause. Deux exemples, parmi d’autres.

Lorsqu’il est difficile de faire passer dans l’opinion publique une loi ou une technique médicale dont on perçoit bien qu’elle sent le soufre, il est préférable de lui faire avaler par morceaux. 

Il convient donc de ne pas se réjouir de cette avancée?

En faisant la promotion d’une technique de manipulation génétique de l’être humain, en offrant à l’Humanité la possibilité de décider arbitrairement qui de nous est digne de naître à la vie et en ne reconnaissant qu’atouts et avantages à une technique controversée et déclarée illégale dans une large partie du monde, le Professeur Zhang, son équipe et leurs partisans nous engagent à prendre un chemin que nous pourrions bien regretter…

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