Lu sur Figaro Vox (le figaro.fr) (Marie-Laetitia Bonavita) (archive 2016) :
Fabrice Hadjadj : «Le mystère de la Résurrection transfigure le drame en rédemption»
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Alors que les chrétiens s'apprêtent à fêter Pâques, l'écrivain et philosophe vient de publier, sur un ton à la fois profond et léger, une superbe méditation sur le mystère du salut.
LE FIGARO. - Comment devient-on catholique lorsque l'on est issu, comme vous, d'une famille juive et athée?
Fabrice HADJADJ. - En devenant encore plus athée et encore plus juif, sans doute. J'ai essayé sincèrement d'être athée, mais je me suis rendu compte que ce serait bête de rejeter Dieu pour me fabriquer à la place une petite idole sur mesure: l'argent, par exemple, ou l'orgasme, ou les honneurs, ou même mon propre jugement. L'athéisme m'a fait rejeter les divinités construites et m'a disposé à accueillir le Dieu qui nous transcende. Et puis, d'un coup, ça m'est tombé dessus, en priant pour mon père malade: j'ai soudain été sûr que Dieu s'était fait charpentier juif - ce qui est assez scandaleux, il faut le reconnaître, spécialement aujourd'hui où l'on rencontre un certain retour de l'antisémitisme et aussi une frénésie technologique qui nous pousse à ne plus croire au charpentier, mais au cyborg. C'est pourtant cela, le mystère chrétien.
Tout le thème de votre livre est de souligner que la Résurrection prend racine dans le quotidien. Pas facile?
Dès que l'homme s'imagine un être ressuscité en gloire, il se le représente comme un super-superman faisant des prouesses spectaculaires. Ce type qui est descendu aux enfers et qui en est revenu, tout de même, ne va-t-il pas nous rapporter une parole d'outre-tombe, ésotérique, dans un grand son et lumière sans précédent? Or, Jésus, quand il apparaît à ses disciples, dit: «La paix soit avec vous», c'est-à-dire bonjour. Et puis il mange avec eux, leur commente les Écritures, comme n'importe quel rabbin ou comme quelqu'un qui vous raconte la drôle d'aventure qui vient de lui arriver. Son apparence est parfois même celle du premier venu: Marie-Madeleine le prend pour un jardinier, voire pour le suspect numéro un, puisqu'elle le soupçonne d'avoir volé le corps ; les pèlerins d'Emmaüs le prennent pour un promeneur qui ne sait même pas ce qui vient de se passer à Jérusalem. Pourquoi cela? Parce que Dieu vient vraiment sauver sa créature dans ce qu'elle a de plus humain. Et parce que la vie quotidienne est son chef-d'œuvre, quelque chose que personne n'avait fait avant lui, à tel point qu'il a créé l'univers pour l'exposer au soleil et sous les étoiles.
Les Évangiles accordent une place importante à la nourriture terrestre (sainte table, miracles des pains et des poissons par Jésus). En quoi le ventre est-il divin?
Qu'est-ce que manger pour que Jésus le fasse après sa résurrection? Naturellement, c'est transformer quelque chose en soi-même, par une opération banale et néanmoins quasi miraculeuse: quand Léa Seydoux mange du poulet, le poulet se métamorphose en James Bond girl! Mais cela même marque notre dépendance écologique à l'égard des nourritures, et donc à tout le cosmos, car, pour les recevoir, ces nourritures, il faut le soleil et la pluie, les saisons, les abeilles, l'agriculture (car c'est elle, la vraie base de l'économie, et non la haute finance ni les entreprises numériques). Enfin, quand vous appelez «à table!», cela n'a rien à voir avec un mot d'ordre idéologique ou générationnel: les jeunes et les vieux, les intelligents et les simples, les hommes et les bêtes (le petit chien de la Cananéenne), Dieu en personne (les trois envoyés chez Abraham) et les traîtres (Judas qui se sert dans le plat du Messie), tous viennent et se passent le sel malgré leurs différences et leurs différends. Le Verbe a rejoint le ventre parce que c'est le lieu d'une catholicité profonde.