L'Editorial de Bernard Dumont de la Revue Cattolica paru ce 23 janvier 2019 :
L’attente d’une issue
L’historien et sociologue Pietro De Marco, s’exprimant dans un entretien avec Daniele Matzutzi dans le journal Il Foglio le 6 septembre 2018, a évoqué la paralysie, ou l’aphasie régnant après l’échec des attentes quasi-messianiques de l’époque conciliaire. « Après des décennies de subversion et un projet raté, ce chemin obligé n’a eu et n’a qu’un seul résultat pour ceux qui sont restés dans l’Église : l’immobilisation de la capacité originaire et constante du jugement que celle-ci porte sur les hommes qui lui ont été confiés, et le passage prévu de la tragédie à la farce : une “révolution chrétienne” […] qui devient une prédication humanitaire, usée et dépassée. Chez le chrétien, cette immobilisation du jugement, sous le prétexte trompeur de se mettre à l’écoute de l’Évangile et de l’homme, précède généralement la phase de dépendance mimétique envers les paradigmes laïques, dans une sorte de fascination, puis l’éloignement croissant d’avec le centre, les fondements devenant étrangers au croyant. » Il s’agit donc d’un processus d’aliénation progressive, de transformation des âmes chrétiennes en coquilles vides. Le cardinal Müller, dans un autre entretien, accordé le 21 novembre 2018 à LifeSite News, a complété ce jugement en estimant qu’il y a actuellement dans l’Église une influence rampante de l’athéisme, influence qui est cause et effet de la crise qui persiste depuis cinquante ans, dont l’un des aspects est d’avoir transformé des ministres du Christ en fonctionnaires de la sécularisation.
Cet athéisme est sournois, il est avant tout pratique, jamais (ou exceptionnellement) explicitement théorisé, ou alors seulement de manière oblique, par adoption de jugements dictés par le monde antichrétien. Les auteurs spirituels ont vu dansl’acédie, qui est un dégoût des choses de Dieu, la racine de ce genre de chutes, imputable à la routine et au laisser-aller, ouvrant la voie à l’immoralité charnelle, châtiment de l’orgueil, de la vanité, du désir de plaire. Le fait est que ce qui se passe aujourd’hui illustre nettement cet abandon de la vigilance et ses conséquences.
La « réforme » entreprise depuis bientôt six ans a redonné de la vigueur aux pires tentations de servilité envers le monde qui avait marqué les lendemains immédiats de Vatican II. Mais, comme le dit Pietro De Marco, elle est usée, située entre la reprise de thèmes sociaux dépassés – migrants, réchauffement climatique et périphéries enthousiasment moins que l’attente messianique de la révolution sociale, d’autant que si cette dernière avait pour elle un esprit de combat, il n’en va certes pas de même avec ces thèmes résiduels, essentiellement conventionnels ou sentimentaux – et la nécessité d’accepter les nouvelles exigences de la culture dominante, ce qui ne peut qu’aggraver la dérive vers le laxisme et la corruption morale, à un point beaucoup plus spectaculaire qu’il y a un demi-siècle. Ce retour tardif est donc décalé et n’est pas même arrivé à se repenser sur des bases d’une élaboration idéologique cohérente, se contentant de reprendre la rhétorique du jour, tributaire de la pensée faible caractéristique des décompositions de la modernité tardive. En comparaison de la période initiale, la dépendance est donc nettement accentuée. Et si l’éclatement des innombrables scandales profitent à la propagande anticatholique, ils n’en sont pas moins ressentis comme ne coïncidant pas avec l’image jusqu’ici donnée d’un pape François encensé de toutes parts, mais dorénavant pris dans la contradiction entre fracassantes déclarations de tolérance zéro, et refus de mettre un terme à la promotion de personnages scandaleux.