Lonsdale - Lenoir : un duo assez discordant (26/12/2012)

Figaro Madame nous offre une interview croisée de Michaël Lonsdale et de Frédéric Lenoir. La lecture est éclairante et permet de s'adonner à un bon petit exercice pour tester notre "sensus fidei". On aura tôt fait de détecter une sensibilité authentiquement catholique chez le premier qui se réfère à sa foi, un amalgame syncrétique chez le second qui invoque une spiritualité abstraite "home made"; cela devrait dissuader une fois pour toutes certains cercles catholiques de nous présenter Frédéric Lenoir comme un prophète pour notre temps. Mais on nous avait déjà fait le coup autrefois avec un Marcel Légaut, par exemple. (C'est nous qui soulignons et annotons.)

Extraits : 

(...) La spiritualité devient parfois un mot-valise dont on sort ce qui nous arrange. Quel sens y mettez-vous ?

M(ichael) L(onsdale). – Comme sœur Emmanuelle, je préfère nommer cela « amour ». Dieu n’est ni dans le ciel ni dans les nuages. Être croyant, c’est aimer Dieu en soi, qui est là, présent par son esprit, en chacun de nous.

F(rédéric) L(enoir) – La spiritualité (laquelle ?) dépasse le clivage entre croyants et athées. Elle englobe tout ce qui améliore l’être humain : la bonté, la générosité, la capacité à se connaître, le désir de grandir, d’être vrai, d’être juste. Une phrase du dalaï-lama le résume bien. À la question « Quelle est la meilleure spiritualité ? », il répond : « Celle qui vous rend meilleur. » (à chacun d'en juger donc)

Notre époque a soif de sacré. Est ce pour sortir de l’ici et maintenant, se déconnecter, ralentir ?

M. L. – Il est vrai que la foi m’enseigne la patience et apaise mes tensions intérieures. Mais le temps m’importe peu. Je peux prier n’importe où et n’importe quand. Dans la rue, dans le métro... L’esprit de Dieu se manifeste aussi sans prévenir, par des rencontres heureuses, des situations qui s’éclaircissent. J’aime beaucoup cette phrase d’Einstein : « Le hasard, c’est quand Dieu voyage incognito. »

F. L. – Je rejoins Michael. (Vraiment ?) Selon moi, si la prière est un élan permanent, une ouverture du cœur à Dieu, aux autres, à l’univers, la méditation, elle, structure le temps. Depuis trente ans, je médite chaque matin dans ma chambre, en position du lotus, avec une bougie et de l’encens. Je fais silence, je laisse défiler les pensées parasites. Le but n’est pas uniquement de déstresser mais aussi de mettre à distance ses émotions, d’oxygéner son esprit, d’agrandir son espace intérieur. (rien, évidemment, de spécifiquement catholique là-dedans)

Comment la foi est-elle entrée dans vos vies ?
F. L. – Le questionnement spirituel est venu par la philosophie grecque. À 13 ans, j’ai lu Le Banquet, de Platon. Des questions abyssales ont surgi : « A-t-on une âme ? », « Est-elle immortelle ? » À 19 ans, j’ai lu les Évangiles et, cette fois, Dieu, qui restait pour moi très abstrait, s’est brusquement incarné dans le visage du Christ. (qui ne lui a pas suffi...) Puis j’ai découvert le bouddhisme et j’ai fait une synthèse personnelle entre ces trois grandes sagesses. (vous avez dit : "syncrétisme"?)

M. L. – Mon chemin spirituel s’est fait cahin-caha. Au Maroc, où j’ai grandi, un ami de mes parents avait une statuette de Thérèse de Lisieux, qu’il voulait jeter. Du haut de mes 7 ans, j’ai crié : « Non ! C’est sacré. » J’ignorais le sens de ce mot ! Il m’a alors offert la statuette. Et j’ai installé un petit coin de prière dans ma chambre d’enfant. Des années plus tard, près de l’église de Notre-Dame des-Champs, à Paris, j’ai rencontré une dame aveugle. Je lui ai dit que je cherchais quelque chose de vrai, de pur. «Mon coco, c’est Dieu que tu cherches ! » m’a-t-elle répondu. Elle est devenue ma marraine spirituelle. (super!)

Qu’est-ce que la foi a changé en vous ?
M. L. – Mon regard sur les autres. Elle m’a appris à contrôler mes élans de colère et à respecter l’être humain. Je crois que chaque personne est un trésor. Le pardon a ainsi pris une place importante dans ma vie. J’avais un père indifférent et méprisant. Longtemps je l’ai rejeté. Quelle délivrance j’ai ressentie le jour où je lui ai pardonné, où j’ai compris le sens de cette phrase énorme, capitale : « Pardonnez-vous les uns les autres. »

F. L. – La notion de réconciliation avec soi-même et avec les autres s’inscrit au cœur du chemin spirituel. Adolescent, je ne m’aimais pas. Comme toi, Michael, j’avais des contentieux avec mes parents. La psychothérapie m’a aidé, mais pas totalement. Pour aller jusqu’au bout du pardon qui nous élève, qui nous fait grandir et qui nous apporte une guérison intérieure, j’ai ressenti le besoin de m’appuyer sur une force supérieure, une transcendance (termes vagues) qui nous relie. C’est plutôt une réconciliation qui engagerait l’univers tout entier. (Le christianisme, histoire de rencontre personnelle, peut-il être formulé de cette façon ?)

« Dieu, je le respire et je le transpire », disait sœur Emmanuelle à la fin de sa vie. Quelle place pour le corps dans la relation au sacré ? Est-il un ennemi ou un allié ?
M. L. – Sœur Emmanuelle a eu des combats terribles avec ses pulsions sensuelles ! Un jour, elle est sortie dans la rue en disant : « Je veux un homme. » Un inconnu lui a pris le bras et l’a raccompagnée chez elle en murmurant : « Rentre chez toi, mon enfant... » Pour moi, le corps est un allié, car il a permis au Christ de s’incarner pour ressentir au plus profond la détresse humaine.

F. L. – Le christianisme, religion de l’incarnation, ne prend pas vraiment en compte le corps. (quelle affirmation curieuse et paradoxale!)  Dans l’Évangile, Jésus mange, boit, ne condamne ni les pécheurs ni les prostituées. Mais depuis saint Paul (dès le début, donc!) et saint Augustin, la morale chrétienne a diabolisé le corps et la sexualité. Le succès des spiritualités orientales en Occident tient en grande partie au fait qu’elles relient le corps, la psyché et l’esprit. C’est l’expérience que j’en fais quotidiennement. (Voilà qui est clairement dit; chacun appréciera ces jugements globalisants à leur juste valeur...)

La spiritualité relève-t-elle de l’intime ou du collectif ? Quel sens a pour vous le mot partage à l’ère de l’ego XXL et du narcissisme triomphant ?

M. L. – Je n’ai jamais aimé prier seul. Il y a vingt ans, j’ai perdu plusieurs proches, dont ma mère, en quelques mois. J’allais très mal. Mon parrain m’a alors emmené à l’église Saint-François-Xavier, à Paris, au sein du renouveau charismatique de l’Emmanuel. Là, j’ai découvert la prière en groupe. Tout à coup des gens priaient pour moi, et je priais pour eux. Depuis, le partage est devenu une réalité tangible.

F. L. – J’en parle dans mon dernier livre, La Guérison du monde. L’humanité est malade de cet individualisme matérialiste qui nous sépare les uns des autres. La spiritualité (re) se situe aux antipodes de ce narcissisme ! Dans la vie intérieure, il y a un paradoxe. Il faut à la fois aller vers soi, se connaître, s’aimer, s’estimer, renforcer l’ego, et en même temps le lâcher, ne pas être obsédé par son nombril, s’oublier. C’est la respiration de la vie spirituelle. Plus on apprend à être en vérité avec soi, plus on est relié aux autres. Pour moi, il n’y a pas de spiritualité sans partage.

Quelle fut votre expérience mystique la plus intense ?
M. L. – D’entendre littéralement Dieu parler à travers des êtres comme le père Ceyrac, Jean Vanier, Guy Gilbert, sœur Emmanuelle. Je ressens aussi sa présence dans l’art, la musique de Bach et de Mozart notamment. Pour moi, les artistes sont les témoins de l’invisible.

F. L. – Ma première grande rencontre avec le sacré, je l’ai vécue dans la nature, vers l’âge de 10 ans. Je marchais dans une forêt, un rayon de lumière a éclairé une clairière. Et j’ai senti un puissant amour en moi : j’étais soudain bouleversé par la beauté du monde et je sentais que j’étais une partie de ce grand tout. (...) (On n'est pas loin du panthéisme ou peut-être y est-on déjà...)

Tout cela ne nous étonne pas; nous l'avions déjà mentionné sur ce blog : http://belgicatho.hautetfort.com/archive/2011/05/20/frederic-lenoir.html

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